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Les clips et le rap : entre clichés et prises de vue

Si les clips de musique sont un moyen de mettre en image la musique des artistes, ainsi que les couleurs que la musicalité dépeint, le clip de rap, lui, a pris une bien plus grande fonction. Contre son gré, le clip de rap a souvent fait l’objet de scandales, de stigmatisations, et de catégorisations directes et irréversibles.

 

Pendant longtemps, le clip de rap était associé à une vulgarité tapageuse. Chaque vidéo étant un moyen de conforter les haineux dans leur idée du rap selon laquelle celui-ci serait une musique qui n’en « serait pas vraiment une », avec des paroles « qui n’en auraient que le nom ».

Fort heureusement, les choses ont bien changé depuis. Et si les codes du rap gardent un ancrage dans les flingues, la beuh, et les gros culs qui twerkent (salut Kaaris !), ils ont tendance à évoluer. Et ce, à travers de nouveaux réalisateurs, mais aussi grâce à des artistes qui veulent se débarrasser de ce cliché.

 

« Je fais de plus belles images que ces batards en arts appliqués » disait Joke dans 2014 jusqu’à l’infini.

 

Joke (dont on attend toujours – en vain ? – son nouveau projet) est particulièrement évocateur de cette transformation de l’image « rap ». S’il n’exclut pas les gros fessiers, ni les jolies filles très peu vêtues, il a apporté un vent nouveau au rap français. Son sens du détail, son souci du beau se ressent dans la réalisation de ces clips, où l’esthétique est toujours de rigueur (utilisation d’une lumière ultra travaillée, de décors parfois undergrounds, et toujours épurés).

Durant les années 2012-2013, Joke s’est entouré d’une flopée de réalisateurs et artistes qui ont su retranscrire ce qu’il désirait. Comme Nathalie Canguilhem avec qui il a collaboré de nombreuses fois pour la réalisation de ses clips (Harajuku, Tokyo Narita, Majeur en l’air…).

 

 

La pertinence de cet exemple réside déjà dans le fait que Natalie Canguilhem soit une femme « réalisatrice de clips de rap ». Elle apparait dans deux paysages perçus de prime abord comme -presque – exclusivement masculin : la réalisation et le rap. Qui plus est, cette femme est tout droit sortie du monde de la mode : elle est notamment réalisatrice pour les campagnes de la maison Yves Saint Laurent. Elle a voulu apporter son art au rap, réalisant entre autres des clips pour Booba, Sefyu (Molotov 4, Turbo) et beaucoup d’autres.

 

C’est ici que toute la transformation s’opère : s’éloignant des clichés trop vus, Natalie préfère l’art, la photographie et la mode pour habiller le rap. Plutôt que la stigmatisation constante, elle préfère mixer le luxe et la street, mélanger les cultures, décaler les codes pour n’en tirer que le meilleur.

Le clip de Putain d’Epoque, de Dosseh et Nekfeu est à lui seul la parfaite démonstration de ce travail. Originellement supprimé de Youtube pour des raisons de plagiat, vous pouvez le découvrir juste ici :

 

Le noir et blanc est de rigueur. On y voit des plans larges, très symétriques et rythmés montrant Dosseh et Nekfeu devant un bâtiment colossal, les pieds dans l’eau, tout de noir vêtus. D’autres séquences, qui ont été la raison de sa suppression sur Youtube, montre des figurants vêtus de couvertures de survie.

 

Outre le travail esthétique qui est de plus en plus encré dans la réalisation rap, d’autres évolutions filmiques sont venues enrichir ce genre musical. Ces dernières années, la structure des clips a particulièrement évoluée. VALD ou PNL l’illustrent parfaitement.

 

Le premier, « OVNI » du rap français a considérablement participé à ce changement structurel. Le 17 juillet 2015, VALD poste Selfie #1 sur Youtube, la version dite « amoureuse ». On y voit Nikita Bellucci, actrice porno, s’amouracher de Ian Scott qui fait initialement le même métier qu’elle.

VALD ne s’arrête pas là. Ce jour-là, dans la description de cette vidéo, il propose deux autres versions du clip, l’une « érotique », la dernière « pornographique » accessible sur PornHub. Mise en perspective des 3 axes de la relation amoureuse, cette idée novatrice va en fait beaucoup plus loin. VALD avec cette distanciation, montre en fait que le clip n’est pas qu’un prolongement de la musique, mais bien plutôt qu’il est là pour en donner un tout autre relief. Le clip n’est dès lors plus « bateau », il donne à réfléchir, il heurte, choque, et ne se laisse pas aller à la simplicité.

 

Concernant la structure, le groupe PNL (toujours entouré du réalisateur Mess) a lui aussi son mot à dire puisqu’il a été l’un des premiers à scénariser autant ses clips. D’abord, il faut noter qu’il y a deux mouvances chez le groupe : ils ont produit des clips comme Oh La La, Jsuis QLF ou La Vie Est Belle dans lesquels le Beau est de mise : peu ou pas de scénario mais des images contemplatives, à couper le souffle, tournées dans des lieux majestueux (Namibie, Islande) ainsi que des clips plus « bruts », moins léchés, tournés dans leur cité de Corbeil-Essonnes.

Le réel tournant s’opère avec la tétralogie Naha – Onizuka – Bené qui se termine par le final Jusqu’au dernier gramme. Plus que des clips, il s’agit ici de courts-métrages de 8, 13, 16 et 30 minutes qui mettent en scène la vie dans la cité, avec acteurs et scénario.

Ce qui est le plus percutant ici, c’est que l’image prend l’ascendant sur la musique qui se retrouve reléguée au second plan. Alors que d’une manière générale, le clip de musique est utilisé pour promouvoir le titre, le rendre plus accessible ou simplement l’illustrer. PNL au contraire se détache de tout ça, ce qui se ressent : le scénario prime sur le son.

 

 

On peut bien évidemment trouver ce choix regrettable d’un point de vue marketing (un « clip » de 30 minutes peut difficilement se regarder en boucle), ou même d’un point de vue musical (finalement, la prod de Béné notammentétirée sur 16 longues minutes – perd de sa force), il est par ailleurs indéniable que PNL grâce ce parti-pris a changé les codes du rap. Le duo a prouvé que le monde du rap a lui aussi une sensibilité artistique, une volonté de montrer au-delà du son, une envie de captiver en image.

 

Joke, Natalie Canguilhem, VALD, PNL, Mess ne sont pas les seuls à avoir transformé le rap et notre façon de l’appréhender. Bien d’autres, plus ou moins connus, contribuent à changer l’image « difficile » que le rap se coltine encore aujourd’hui. S’il est vu encore comme un « sous-art » (salut Zemmour !), une « sous culture d’analphabètes » (re-bonjour Monsieur Zemmour.), « violent », « réducteur », « animal » ou « hostile », nombreux sont les rappeurs qui démontrent brillamment la grandeur et la pluralité de ce genre.

 

Par Axelle Tribouley

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