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SCH vs Verlaine : La Chanson Grise et le Baron Rouge

 

Dans rap il y a rythm mais on oublie trop souvent poetry. Cet article se propose de revenir sur les textes de nos poètes des temps modernes tout en les croisant avec leurs aïeuls des temps passés pour faire apparaître peut-être plus nettement les trésors d’écritures dont nos amis rappeurs sont les auteurs. Cet article sera aussi l’occasion d’observer que les petits génies de la musique ont parfois plus en commun avec les grands auteurs consacrés par les siècles que ce que l’on pourrait imaginer au premier abord. Il ne s’agira donc pas de distribuer des bons ou des mauvais points de poésie, ce qui n’aurait aucun sens, mais simplement de se réjouir du fait que parfois poésie de papier et poésie de son se croisent le temps d’un thème.

 

Désespoir, mélancolie, cœurs brisés… C’est dans la joie et la bonne humeur que nous parlons aujourd’hui de la Chanson Grise, à laquelle Verlaine, a donné ses lettres de noblesses. Pour l’accompagner quoi de mieux qu’un autre dépressif de la scène actuelle en la personne de SCH Mathafack.

Mais avant d’entrer dans les méandres poétiques de ces deux génies, une mise au point s’impose pour ceux qui auraient par malheur séché les cours de littérature. Verlaine est un poète de la seconde moitié XIXème siècle qui a profondément renouvelé la poésie de son époque.

Forts de cette mise au point, nous pouvons donc nous attaquer à la Chanson Grise de Verlaine sans appréhension. Pour en parler, quoi de mieux qu’un cocktail explosif entre des extraits des plus grands poèmes de Verlaine et l’un de ses plus grand critique P. Richard afin d’aller de l’explication à l’exemple et de l’exemple à l’explication.

La Chanson Grise comment ça marche ?

 

L’écriture verlainienne s’intéresse beaucoup aux choses et aux événements déjà morts dont il ne reste plus que des traces. Autrement dit, elle est tout entière tournée vers les sensations que peuvent encore produire les fantômes du passé. Il va par exemple préférer parler d’odeurs évanescentes : « l’odeur de roses, faible, grâce au vent léger d’été qui passe » et peindre avec des mots toute une galerie de sensations à demi mortes. Ici précisément, ce qui nous ai donné à lire ce n’est pas la rose directement mais « l’odeur de la rose », une sensation donc, puisque cette phrase fait appel à un sens (l’odorat) sur le mode mineur puisque « faible » et mourante puisque passagère.

A ces sensations flottantes et ces moments suspendus que Verlaine affectionne s’ajoutent la recherche perpétuelle de la dissonance et de la fausse note. Pour se faire, Verlaine à plusieurs cordes à son arc qu’il développe dans son poème “l’Art Poétique”. Pour résumer ce qui dit ce poème, Verlaine cherche à créer un décalage soit dans le vocabulaire soit dans le rythme de sa poésie. Par exemple, « le bleu fouillis des claires étoiles » illustre la superposition de ces sensations vagues « bleu fouillis » qui vient se confronter aux « claires étoiles » une image beaucoup plus nette qui crée ce décalage. Comme Verlaine l’explique lui-même c’est ce mix qui fait la Chanson Grise. Passons au personnage principal de cet article : SCH. Toujours d’attaque pour un doubie et jamais avare en placement de voix étrange, voyons à présent comment le S manie la Chanson Grise, ce qu’il en fait et comment il le fait. Si, bien sûr, SCH aborde aussi d’autres thèmes dans ses chansons, le parti que nous prenons ici est de voir ce qui le rapproche un peu de Verlaine. Plongeons donc dans l’univers de SCH.

Verlaine et SCH, frères de plume ?

 

 

Dans la très bonne interview de Clique sur SCH, Mouloud Achour fait remarquer au S que sa musique a quelque chose de très désespérée, ce qu’SCH reconnait en expliquant que c’est lié son enfance dans la pauvre ville d’Aubagne. Peu après dans l’interview Mouloud explique qu’il a l’impression de voir les fantômes qui hantent SCH dans les textes de ce dernier.

Commençons par regarder de près une musique entièrement tournée vers une figure féminine fantomatique dans l’une des chansons plus célèbres de SCH, Fusil.

Au détour d’une line qui compose cette chanson, SCH dit : « J’cause au mur j’entends dans ses murmures qu’j’ai mis son cœur en lambeaux ». On tient là un vers typique de la Chanson Grise qui fait cette jonction le précis et l’indécis. D’abord, il y a cette idée que la figure féminine convoquée est absente, puisque il ne lui parle pas directement, en inscrivant une séparation représentée par un « mur ». A cela, il faut ajouter que l’image du mur qui métaphorise la séparation, devient en quelque sorte le compagnon de route du S puisque il « cause » avec le mur. Là encore, on esquive le face à face avec la figure de sa go pour n’invoquer que des “murmures” qui sont la seule trace perceptible de cette fille . En effet, la phrase telle qu’elle nous là donne, peut avoir plusieurs interprétations. On peut se demander à quoi SCH fait allusion quand il dit qu’il “entend” ? Sont-ce les murs qui « murmurent » ou bien sa go ? Le fait d’avoir utilisé le mot « ses » peut renvoyer aussi bien aux murs que à son ex . Finalement s’il y a bien présence d’une femme, cette présence n’est fixée ni dans le temps ni à une personne identifiée (au contraire de la Madrina par exemple). Il y a donc bien comme chez Verlaine cette idée de sensation à demi morte. Sensation parce qu’elle passe par l’ouïe et à demi morte parce qu’elle est faible (murmures) et que la personne est déjà partie. Cette démarche toute verlainienne, SCH l’assume jusque au bout en usant aussi de l’autre facette de la Chanson Grise. La fin du vers il déclare avoir « mis son cœur en lambeaux ». Cette image tranche nettement par sa précision et sa violence avec la première partie de la phrase. En juxtaposant les mots « cœur » et « lambeaux » il crée un contraste en ce qui symbolise l’intimité des sentiments et ce qui signifie une mort violente. D’autant que le cœur est ici perçu comme le moteur symbolique des sentiments – image que tout un chacun connaît – mais aussi comme un muscle de chair qui peut être déchiré. A cela, il faut ajouter l’allitération entre « mur » et « murmures » qui donne à la phrase ce rythme traînant et une sonorité rocailleuse qui participent de cette dissonance que Verlaine affectionne tant. Plus loin dans sa chanson, SCH dit « A nos morts, à nos restes en photo/ Te-tê haute, nés pour mourir debout/ On affrontera quand même ». Cette phrase, en plus de lever des fantômes du passé de SCH, présente aussi quelque chose qui n’existe pas chez Verlaine. La notion d’affrontement qui apparaît est, elle, très contemporaine et vient du fait que le rap souvent est perçu par les rappeurs comme une compétition. La différence majeure entre les deux auteurs se situe sans doute dans cette dynamique. Le « je » chez Verlaine se place toujours comme mineur et poreux aux choses qui l’entourent comme il le dit dans le poème “En Sourdine” : « Ferme tes yeux à demi, / Croise tes bras sur ton sein, / et de ton cœur endormi, / Chasse à jamais tout dessein. ». Tandis que chez SCH le « je » qui parcourt ses textes est actif, il est le moteur de l’action, ici sous la forme de « on affrontera ». Ce qui transmet un autre rapport au monde de SCH dans ces textes puisque, souvent, il se met dans la peau du coupable ou de la victime du désespoir qu’il rappe. Pour achever cette petite comparaison de style, prenons en exemple le début du poème le plus célèbre de Verlaine “Colloque sentimental” : « Dans le vieux parc solitaire et glacé/ Deux formes ont tout à l’heure passé. / Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, / Et l’on entend à peine leurs paroles. » Ce début de poème est finalement dans sa construction assez peu éloigné de ce qu’écrit SCH. A la place des « murs » se présente devant nous un « parc », les « paroles » sont inaudibles, là où SCH parle de « murmures » et pour couronner leurs extraits respectifs, les deux auteurs font référence à des parties du corps : yeux, lèvres, cœur pour traiter le thème de la séparation amoureuse.

L’analyse de texte touche à sa fin, elle nous a permis de faire apparaître des points communs et des différences entre ces deux artistes.  Aussi surprenant que cela puisse paraître, notre rappeur aux cheveux longs et aux chicos pourries est bel et bien un écrivain accompli capable de charrier au creux d’une même phrase, foules d’images et de sensations. Charge aux lecteurs de joindre l’utile à l’agréable en écoutant Fusil pour voir comment SCH décline cette idée tout au long de ce superbe rap.

Simon

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