A l’heure où la musique techno semble de plus en plus se démocratiser peut-être serait-il bon d’en rappeler les racines afin de mieux comprendre toute sa complexité. Mais en premier lieu, rappelons que la techno se définit comme une musique électronique basée sur la répétition. On pourrait alors comparer son aspect à priori « simple » à celui des peintures abstraites et avant-gardistes reconnues dans le monde entier. De la même manière que pour l’art, la création de musiques techno nécessite l’acquisition au préalable de nombreux savoirs et une formation classique afin d’atteindre un certain absolu musical. Son minimalisme permet alors de nous procurer des émotions parfois aussi intenses que celles ressenties lors de l’écoute d’une symphonie de Mozart.
La musique techno se pare d’un voile mystérieux voire mystique en raison de son coté underground, secret, caché. Contrairement à d’autres styles musicaux tels que le jazz, elle semble avoir du mal à diffuser l’histoire de ses origines et donc à construire une forme de mémoire collective lui étant consacrée. En effet, depuis sa création dans les années 90, une image péjorative lui colle à la peau dans l’opinion publique, elle est alors parfois méprisée et considérée comme « une musique de drogués ». Les artistes techno ont longtemps été relégués au second plan dans l’univers de la musique, se faisant alors très rares dans les médias.
Les origines de la techno
La gestation de la techno prit place à Détroit dans l’état américain du Michigan. Dans la première partie du XXème siècle, cette région s’était largement industrialisée grâce à l’implantation d’importantes firmes automobiles. Cependant, elle a connu lors de la deuxième partie du XXème siècle un fort déclin économique touchant principalement la population africaine-américaine et engendrant des tensions raciales sans précédent. Suite à la fermeture de nombreuses usines, la ville tomba en ruine et de nombreuses friches virent le jour. Ce contexte laborieux stimule alors la créativité de certains qui voient en la musique l’occasion d’échapper à la dure réalité de la vie. Cette innovation artistique est alors stimulée par les influences soul et funk ayant vu le jour dans les années 60 au cœur même de Détroit. Faire de la techno revenait à expérimenter le coté industriel de la ville et à y mélanger des musiques urbaines aussi bien blanches que noires. Dès lors, la techno et la house se sont diffusées grâce à la radio et plus spécifiquement grâce à une émission nommée The Scene qui ne tarda pas à démocratiser ces types de musiques totalement originaux pour l’époque. La techno fut d’autant plus appréciée qu’elle parvint à proposer une nouvelle offre musicale de danse se démarquant du disco si souvent écouté.
Daniel Bell, DJ et producteur américain de musique électronique assimilé à la techno de Détroit, dira alors : « Lorsque l’industrie est sur le point de s’effondrer, il appartient aux futures victimes de ces crises d’utiliser la technologie pour échapper à ce qui les attend. Et c’est exactement ce qui est arrivé à Detroit, où l’industrie automobile s’est effondrée et où le temps s’est comme arrêté… La musique a été un moyen d’échapper à cette période et à cet environnement, un moyen de leur donner un sens. »
De Détroit à Berlin
Pendant la guerre froide, la radio a joué un rôle considérable dans le maintien de la communication entre la population de Berlin-Est et celle de l’Ouest. De fait, à Berlin-Est la techno avait déjà été importée de Détroit et quelques clubs secrets étaient apparus. Son apogée était liée au fait que sa production ne nécessitait pas beaucoup d’investissement : une simple boite à rythmes, un synthé et un magnétophone pouvaient faire l’affaire.
A la fin des années 80, certains habitants de la RDA découvrent la techno en écoutant illégalement une émission de radio dédiée à la diffusion de musiques abstraites et tout à fait originales pour l’époque. Cette écoute leur permet alors de s’ouvrir au monde et de rêver de liberté.
Après la chute du mur de Berlin en 1991, on assiste à une réunification des Berlinois dans les clubs de techno. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, Berlin-Est était perforée de nombreuses friches et d’immeubles désaffectés n’appartenant plus à personne. C’est dans ce contexte qu’apparaissent des sortes de raves spontanées un peu partout à l’Est. La ville devient un véritable terrain de jeu pour les amateurs de techno qui n’hésitent pas à se retrouver toutes les semaines pour festoyer jusqu’au bout de la nuit dans des lieux tous plus insolites les uns que les autres. Il n’y avait alors nullement besoin d’autorisation pour organiser de telles soirées où genres, sexualités, excentrisme et liberté se mélangeaient pour le plus grand plaisir de tous. La techno parvient alors à réconcilier les habitants de cette ville auparavant divisée avec les vestiges de son passé. Les anciens habitants de la RDA sont fascinés par cette musique sans parole où toute l’attention se tourne vers le rythme. Leur étonnement est d’autant plus grand que seules les musiques avec des paroles propagandistes étaient jouées en RDA. Un numéro de téléphone était alors donné aux connaisseurs et il fallait simplement l’appeler pour savoir où se trouvait le lieu de rendez-vous pour aller en bus à la soirée.
C’est dans cette ambiance euphorique et de liberté absolue qu’apparaissent des clubs encore reconnus de nos jours. Par exemple, le Trésor qui était une ancienne banque juive désaffectée depuis des dizaines d’années ouvre ses portes en 1991. De surcroît, les fameuses Love Parade, dont la première avait eu lieu en signe de contestation du mur de Berlin, prennent de plus en plus d’importance et témoignent de la disparition du fantôme de la Guerre Froide au profit d’une célébration de l’amour et de la liberté.
Un genre encore contestataire ?
Depuis quelques années déjà, la techno est devenue un phénomène économique puisqu’à Berlin par exemple 1/3 des touristes s’y rendent pour le clubbing. A l’image des premières Love Parades, la techno se veut être aussi un véritable moyen de faire passer un message politique. En effet de nos jours, en Géorgie, la politique s’avère encore marquée par un certain conservatisme et la techno se révèle être une véritable ode à la liberté pour les jeunes voulant se rapprocher du mode de vie européen. C’est ainsi qu’en 2018, suite à une injuste descente de police au Bassiani (qui est l’un des plus grands clubs de techno de la capitale), s’est organisée une grande manifestation sous forme de rave devant le Parlement de Tbilissi dans le but de contester ces violences policières arbitraires. Danser sur de la techno devient alors un véritable acte politique.
Ainsi, vous l’avez compris la techno est loin d’être un genre musical futile et dépourvu de toute profondeur !
Enjoy and Stay Tuned.
Agathe