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Ecouter de la musique violente nous rendrait-il plus doux ? Manifeste pour une musique brutale

Assise sagement sur mon canapé, sirotant une verveine j’écoute pour la dixième ou onzième fois un set de Parrish Smith, producteur néerlandais. Ce set précisément où à plusieurs reprises, on entend des claquements de fouets marquer le tempo, où les cris d’une jeune femme visiblement très en forme se confondent avec le son des snares. Je cogite. Comment se fait-il que je puisse apprécier aussi tranquillement une musique marquée d’une si grande violence ? Une simple écoute provoquerait sûrement chez ma grand-mère un arrêt cardiaque foudroyant. Pourtant, l’amour que je porte à cette musique dépasse visiblement la question du goût.

Et si les gens que l’on qualifie de « bizarres », ceux que l’on pense les plus en marge d’entre nous n’étaient pas ceux qu’on croit ?  Acceptez quelques minutes de sortir de vos préjugés sur ces fans de Marilyn Manson qui l’admirent manger des poussins sur scène, sur ces danseurs de gabbers frénétiques ou ces punks amateurs de pogos, pourquoi seraient-ils plus violents que ce fan obsessionnel d’Aya Nakamura prêt à la suivre dans chaque recoin de France ?

https://soundcloud.com/reaktorevents/parrish-smith-at-unpolished-2019?fbclid=IwAR2pRaEn3JwwzzgmlwJvcHn8cVBi7bCiAOOiOE8RuZZCBUTkVnmAl7488-Y

Demandez à n’importe quel habitué du Hellfest, il vous dira que ce festival de « musiques extrêmes » est de loin le plus safe de France. Pas un barbu pour pousser l’autre, pas un biker tatoué un peu trop ivre pour vous barrer le passage en plein concert de votre groupe de métal préféré. C’est même au Hellfest que la culture des trucks vegan et végétariens a vu le jour, suivi par des dizaines de festivals en France. Faites un rapide comparatif avec ce mois de juin 2015 où vous vous êtes rendu tout excité au festival de vos rêves dans une ville vraiment super : Marmande. Vous avez fini écrasé par le soleil et par des adolescents de 15 ans déchainés devant Nekfeu. Ceux que vous preniez pour des sauvages n’écoutent visiblement pas Metallica.

La pop et ses sonorités sirupeuses peuvent être d’une violence inouie. Et l’hymne à la joie n’est pas forcément un hymne à la morale. En quoi la musique de Manu le Malin serait-elle plus violente que les paroles de Gucci Gang de Lil Pump ? Entre sonorités violentes et violence morale, que préférons-nous?

‘My bitch love do cocaine, ooh
I fuck a bitch, I forgot her name, yeah
I can’t buy no bitch no wedding ring
Rather go and buy Balmains, aye’

Souvenez-vous de ce macabre fait divers à Montréal. Luka Magnotta dit « le dépeceur » avait pour habitude de se filmer alors qu’il accomplissait ses actes cruels sur des chatons et plus tard, sur un homme. Ses vidéos s’accompagnaient d’une bande originale bien précise : le morceau True Faith de New Order, tube des années 1980 envahi de synthés, peut-être le plus abordable pour un novice avec le titre Blue Monday. Un sombre hommage qui embarrassa pendant des années Rob Gretton, le manager du groupe. Comment un être aussi tordu a-t-il pu accomplir des actes aussi ignobles sur de la musique aussi joyeuse ? Bien sûr, écouter le TOP 50 ne fait pas de vous un criminel sociopathe, mais finalement pas plus qu’écouter du punk hardcore.

La violence la plus visible n’est pas révélatrice d’une anormalité, d’un comportement déviant. Le groupe Joy Division en est la preuve ultime, par son nom même. Le terme de « divisions de la joie » a été choisi par son fondateur, Ian Curtis, en référence aux parties des camps de concentration organisant l’exploitation sexuelle des détenues par l’armée allemande. L’ambiguïté de ce nom vaudra au groupe une suspicion de sympathie pour le nazisme. Tout comme la pochette de leur premier vinyle, Warsaw montrant des SS jouant du tambour. A première vue, ce choix peut paraître d’une provocation inouïe ou a minima de mauvais goût. Pourtant, le but ultime de Joy Division était de prendre à rebours l’imagerie nazi, dans un processus cathartique non pas d’oubli mais de prise de recul par rapport à tous les événements qu’ils avaient connu dans leur jeunesse, un procédé artistique permettant d’évacuer la violence jamais égalée du 20ème siècle. L’imagerie militaire est ici détournée dans un but artistique, et ce qui n’était jusqu’ici qu’hyper-rationalité et destruction devient poésie, musique, communion des êtres.

Finalement, dire que nos goûts musicaux définissent notre personnalité relève d’une pensée superficielle. L’amour de la musique radicale pourrait aussi se révéler être un acte nécessaire pour le bon fonctionnement d’une société comme toutes les contre-cultures et contre-pouvoirs. Du punk à l’EBM, du noise au hardcore en passant par l’emo rap, la brutalité et la froideur sont élevées au rang d’œuvre d’art et nous amènent le plus souvent à nous questionner, au contraire de la pop. Parce que la musique a une force symbolique et sociale beaucoup plus importante que ce que nous voulons bien le penser, ne laissons pas l’industrie musicale nous faire croire que tel style ou tel artiste est plus acceptable qu’un autre, que nous devrions nous ranger dans des cases. Le bouc émissaire pourrait bien ne pas être celui que l’on croit. Se rendre en rave n’est pas une preuve de déviance, pas plus que d’entonner avec ferveur les titres d’Ariana Grande dans un Bercy bondé. Dans les deux cas, vous êtes ensembles et c’est ce qui compte.

Enjoy & Stay Tuned.

Lily

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