Comme des prisonniers rayant les murs de leurs cellules afin de compter les jours, nous sommes nombreux à écouter à chaque nouveau jour de confinement un set, une prod, un morceau qui vient de sortir ; nous voici envahis par cette fièvre musicale confinée qui semble essayer par tous les moyens de s’étendre, de pousser les murs des appartements pour rejoindre les enceintes des voisins.
Les Italiens chantent sur leurs balcons, les Français toujours moins intrépides dansent l’italo-disco sur Zoom… et la vie continue.
Que deviendrions-nous, enfermés et souvent seuls, sans cette langue universelle qu’est la musique pour communiquer à distance et nous sauver de l’enfermement ? Elle témoigne de ce vouloir vivre, de ce feu qui nous anime plus encore que toute autre forme d’art. La musique se fiche de son lieu d’appartenance, elle crée des tribus déterritorialisées, elle unit sans que l’on ait à se donner la main. Elle nous amène dans cet espace abstrait rythmé par les guitares, ou les machines, pour danser ensemble, si loin, si proches, la danse salvatrice de la liberté.
Demandez aux gens ce qu’ils feront quand ils sortiront de leur « cage », la plupart vous diront revoir leurs proches, et une grande majorité danser avec leurs amis. Depuis bientôt un mois, nous sommes embarqués dans cet itinéraire macabre peuplé de rues silencieuses autrefois animées par les chants et les rires, le silence nous effraie et la musique le comble. « Elle passe à côté de nous comme un paradis familier, quoique éternellement lointain, à la fois parfaitement intelligible et tout à fait inexplicable, parce qu’elle nous révèle tous les mouvements les plus intimes de notre être, mais dépouillés de la réalité qui les déforme » écrit Schopenhauer. La musique se fiche du contexte, de la réalité qui l’entoure, elle a vécu bien pire. Les chants yiddish s’élevaient dans les ghettos polonais et plus tard la techno résonnait à Berlin Est. Aujourd’hui, elle se fraye un chemin à contre-courant des gestes barrières, comme elle a toujours su le faire, pour que l’on s’embrasse virtuellement mais langoureusement.
Et si cette situation inédite prouvait combien la musique se nourrit du lien entre l’artiste, qu’il soit amateur ou multimillionnaire, et son public ? L’un ne survit pas sans l’autre.
La profusion de live streams, de concerts donnés par des chanteurs en direct de Facebook nous montrent aussi que l’individu profondément social, supporte difficilement de se retrouver seul face à lui-même. Bien plus qu’un divertissement, la musique est alors ce qui permet de se trouver, soi-même, plus vrai encore dans le lien avec les autres.
Continuons donc à nous déclarer notre flamme par lien Soundcloud interposé, sauf preuve du contraire, un set ne transmet pas le coronavirus.
Enjoy & Take Care
Lily Decorse