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13 block

13 Block, des choses à dire …

Appuyer sur le start up que pour les missions biff/ C’est pas chez tout le monde que la poubelle est remplie/ C’est le 9.3, les premiers crimes avec le ventre vide/ Ghetto vran-Se, du plus grand au plus petit la vente a été transmise,/ toujours au charbon comme un entraîneur en training, an nou alé/ En nous allant, en fumant, déconnecté mais j’ai des connexions/ colérique pour les billets…

L’album qui m’a accompagné toute l’année dernière commence par ces quelques mots. Des mots auxquels on accorde finalement assez peu d’importance, la prod et les flows aiguisés de 93 Gangstérisme emportant toute l’attention de l’auditeur. Et comment lui jeter la pierre ? La trap ces dernières années, dans la lignée des rappeurs américains, simplifie de plus en plus la formule et ce souvent au détriment du texte qui tient souvent en une ligne, la première du texte qui s’imprime dans la mémoire de l’auditeur. Et malheureusement cette manière de construire un morceau à laquelle le public s’est habitué a des conséquences sur sa capacité d’écoute. On a de plus en plus de mal à être attentif au discours de nos rappeurs et c’est bien dommage pour 13 Block.

Si l’on se re-penche sur l’extrait ci-dessus, qui nous a servi d’introduction, on notera d’abord une chose : posé tel quel, le texte qu’on a sous les yeux est bien difficile à comprendre. Les phrases n’ont pas forcément de liens entre elles, les allusions obscures sont légions et la direction que prend le discours est flou. Même pour un fidèle auditeur de rap, la tâche n’est aisée. Jouons à un petit jeu, prenez 10 secondes pour essayer de « traduire » le texte dans votre tête, pour essayer de vous l’expliquer avant de lire ma tentative d’explication dont je ne suis pas plus sûr que vous.

Selon moi, Stavo commence son couplet en parlant des go-fast mais pour cela il utilise un biais assez éloigné de l’idée originale : le « start up » d’une voiture. C’est d’autant plus intéressant que ce sont les premiers mots de l’album, et à ce niveau le sens de l’image fonctionne aussi : démarrer l’album pour se faire de l’argent. Ensuite, les images de Stavo semblent plus évidentes, il fait référence à la pauvreté de Sevran en filant la métaphore de la faim. Mais comme précédemment, la métaphore est polysémique. D’un côté, il y a la faim biologique « poubelle remplie », « ventre vide ». De l’autre, il y a faim symbolique, celle de l’argent, la dalle, pour l’exprimer autrement : « la vente a été transmise », « colérique pour les billets… », « toujours au charbon ». Pour être tout à fait exhaustif, il faudrait aussi parler de tout ce que Stavo semble évoquer de manière plus ténue. Sans en être vraiment sûr, je pense qu’il fait aussi référence à la série The Wire puisque les jeunes du ghetto utilisent des sacs poubelles pour l’héroïne ce qui viendrait marteler encore une fois l’image de la vente de drogue à Sevran. Il fait aussi référence à leur façon de s’habiller « entraineur en training », ainsi qu’à la communauté créole « an nou alé » et par extension à l’immigration en générale. Finalement, en bien peu de mots, Stavo a fait preuve d’une grande finesse (qui l’eût cru !!), pour dresser par petites touches de couleur un tableau de Sevran que l’on voit assez nettement lorsqu’on prend un peu de recul : c’est une ville très pauvre et métissée par l’immigration, où la soif de l’argent pousse naturellement la jeunesse vers le trafic de drogue. Si tenter d’analyser tout le texte serait trop long, n’hésitez pas à prendre 5 minutes pour l’écouter en entier. Vous vous apercevrez que le couplet de Zefor est encore plus obscur au niveau du sens que celui de Stavo. Certaines phases sont tellement étranges « Ton cœur calumet vert, proche du cul de la veille » qu’il faut sans doute avoir vécu à Sevran pour les comprendre.

D’un point de vue littéraire, ce que propose 13 Block est absolument remarquable. Ils nous donnent l’occasion de revenir sur deux principes que l’on utilise habituellement en poésie. Le principe de condensation et distinction écrivain/écrivant. Un bon exemple du principe de condensation est le sonnet. Si de nombreux poètes s’abstenaient d’utiliser le sonnet, c’est parce qu’il oblige l’auteur à condenser son propos en peu de mots. De cette manière, pour que la magie de la poésie opère, il faut être particulièrement vigilant à la concordance entre la musicalité des mots et leur sens afin que l’effet sur le lecteur soit total. Les sonnets des Fleurs du Mal de Baudelaire sont l’exemple iconique de ce procédé. Bien sûr, le principe de condensation s’applique différemment dans les textes de 13 Block. La petite analyse du couplet de Stavo nous a donné quelques clés : une forte polysémie des images et des mots employés, l’idée de suggérer plutôt que dire, et la construction d’un sens par juxtaposition de métaphores. Le tout en évitant les outils de l’argumentation (d’abord, ensuite, enfin…). À cela, il faut ajouter les pistes d’ambiance (ad libs) de 13 Block, qui peuvent être considérées comme une manière habile d’élaguer le texte pour n’en garder que la moelle épinière. Tous ces procédés font que la musicalité de leur langue est unique. Pourtant, les thèmes abordés par 13 Block n’ont rien d’orignaux : drogue, violence et trafic, les femmes n’apparaissant pratiquement jamais dans leur texte, mais l’art n’est pas dans ce qui est dit mais dans la manière de le dire. C’est en cela que le principe de condensation dont ils font preuve dans leurs textes est une vertu. Il leur permet d’avoir une manière d’écrire unique dans le rap français, très éloigné de la masse des autres rappeurs « street » qui ne sont pas très originaux dans leurs métaphores, et qui ont une fâcheuse tendance à répéter la même punchline lorsqu’ils réussissent à en trouver une. 

L’autre principe littéraire qui paraît dans les textes de 13 Block ne se comprend qu’en établissant une distinction classique en poésie au sens large – ici on considère que n’importe quel texte peut être poétique, pas seulement ce qu’on appelle traditionnellement la poésie -. On parle souvent d’écrivains et d’écrivants pour distinguer deux manières d’écrire différentes. On considère que les écrivants se servent des mots pour raconter une histoire. La langue est pour eux un outil (Jk Rowling pour Harry Potter par exemple). Pour les écrivains au contraire, la langue n’est pas un outil mais la fin en soi. C’est-à-dire que l’important sera plus de trouver une manière originale et unique d’écrire, c’est le cas de Flaubert, Proust, etc. C’est d’ailleurs souvent ce qui porte à croire que l’on arrive à saisir la personnalité de celui qui écrit à travers son texte. De mon point de vue, 13 Block appartient à la seconde catégorie, en grande partie par ce qu’ils surexploitent l’argot sevranais qui leur appartient et avec lequel ils ont grandi. C’est particulièrement visible dans les tournures de phrases telles que le légendaire passe-passe de Zed et Stavo sur Zidane : « Scooter, écouteurs, belek, guetteur/ Sprinteur à toute heure, rackette un rappeur/ J’ai l’épée d’Albator, il deviendra l’batteur/ J’ai la tête d’un bâtard t’as la tête d’un batteur/ Sprinteur à toute heure, rackette un rockeur/ Scooter, écouteurs, belek au guetteur ». Le sens parfois bien particulier qu’ils attribuent à certains mots (trafiquant pour dire menteur) ou bien encore dans les néologismes tels que Métagorique, ainsi que dans certaines expressions qui n’existent que dans leur ville comme vyces, qui signifie hypocrite entre autre, caractérise leurs textes. L’appropriation de cet argot dans leur musique donne lieu, quand on écoute une de leur track, à un parler bien particulier qui a construit leur identité. D’autant plus que, à aucun moment ils ne prennent le temps d’expliquer ce qu’ils disent pour rendre leur discours plus accessible, ce qui dénote une réelle volonté d’imposer leur langue. C’est encore plus percutant lorsqu’on écoute les autres rappeurs de Sevran qui ont grandi dans les mêmes conditions, mais qui pourtant s’expriment d’une façon bien plus accessible, à l’image de Maes.

Pour refermer cet article, j’aimerais répondre à quelques objections que l’on pourrait faire à cette analyse. D’abord, on pourrait me dire que je me fais un film, que tout cela ne relève que du hasard, qu’ils n’ont eux-même jamais penser à produire cela. Mais dire ceci, c’est ne pas comprendre le principe de ce papier lui-même, car si 13 Block avait procédé comme je l’ai fait, leur écriture aurait perdu tout son naturel, son intuition et donc son génie. Evidemment, les rappeurs de 13 Block se foutent royalement de la différence entre écrivain et écrivant. Mais par contre, ils ont toujours tenu à ne jamais sacrifier leur identité sevranaise, et à apporter leur touche unique à l’heure où la trap est de plus en plus aseptisée. C’est leur état d’esprit vis-à-vis du rap qui a produit ces effets-là. Les principes littéraires que j’ai utilisé sont simplement un moyen d’expliquer et de mettre en valeur les qualités de leur travail. D’autant que les rappeurs français qui possèdent une identité bien définie dans leurs lyrics sont rares aujourd’hui. Sur la scène actuelle, dans le registre street de 13 Block on pourrait citer Booba, Damso ou encore SCH, dans le cloud PNL, et dans un rap plus pop Nekfeu, Lomepal ou encore Vald. Même si je n’écoute pas personnellement tous les rappeurs que je viens de citer, on peut au moins s’accorder sur le fait que si je vous montrais un texte de l’un d’entre eux, vous le reconnaîtriez en quelques lignes. C’est ce que je voulais mettre en avant dans cet article. Si le 13 Block Gang est un des meilleurs groupes de rap français aujourd’hui, c’est parce qu’au-delà de la musicalité, ils cherchent à donner du sens à ce qu’ils font et c’est ce qui permet à une œuvre de durer et de ne pas être un simple produit de consommation.

Enjoy & Stay Tuned.

Simon

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