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La rime au féminin : une brève histoire des femmes dans le rap

The American Dream : Celles qui ont ouvert la voie aux femmes dans le Hip-Hop

Le rap mondial est depuis toujours dominé par le continent nord-américain et la catégorie féminine n’échappe pas à cette domination. En effet, dans les années 1990, le rap obtient un grand succès, gagnant un large public. Ses plus grandes stars restent alors des hommes : les Californiens de N.W.A. (Ice Cube, Dr Dre, Eazy-E) Snoop Dogg ou Tupac cartonnent dans les charts, avant que la côte Est ne réponde avec les Wu-Tang Clan, Mobb Deep, Nas et autre Notorious BIG. Il faut attendre le milieu de la décennie pour qu’émergent des voix féminines, susceptibles d’amener autre chose que l’ultra-virilité et le matérialisme propre au genre, des deux côtés de l’Amérique. C’est la rappeuse Lil’ Kim qui va en quelques sortes inventer l’un des canons du rap féminin, avec son disque « Hard Core ». Portée sur la sexualité, voire la sexualisation du corps, la MC affirme la libération du désir féminin et l’égalité des sexes avec beaucoup d’efficacité. Plus ancrée dans les sonorités East-Coast (elle a travaillé avec Nas et Jay-Z), Foxy Brown tient un discours à peu près similaire sur son opus, « Ill Na Na ».  En 1997, un an après les albums de Lil’ Kim et Foxy Brown, la première superstar du rap au féminin sort enfin son disque solo, « Supa Dupa Fly ».Missy Eliott a d’abord chanté dans un groupe de R&B avant de connaître le succès en tant que productrice, partageant certains crédits avec Timbaland, figure montante des studios de l’époque. Également rappeuse, elle se distingue par sa polyvalence et l’efficacité de ses titres. De 1998 à 2006, en créant six autres disques, elle s’imposera en tant que MC multiplatinée, remportant plusieurs Grammy Awards. À la même période, la MC Eve, et l’ex-Fugees Lauryn Hill, à la charnière du rap et du R&B, parviendront aussi à se faire remarquer, respectivement avec les albums « Let There Be Eve » et «The Miseducation of Lauryn Hill ».

L’essor du rap au féminin en France : le début d’une nouvelle ère

Le rap francophone féminin ne connait son explosion que seulement vers la fin 20e siècle et au début du nouveau millénaire. Le début des années 2000 sonne effectivement l’arrivée d’une jeune rappeuse issue du 91 en région parisienne, Mélanie Georgiades aka Diam’s fait son apparition dans le paysage rap en France avec son premier album sorti le 1er janvier 1999 intitulé « Premier mandat ». Alors qu’elle n’a que 19 ans, la rappeuse francilienne se lance dans le rap français qu’elle choquera quelques années plus tard avec son 3eme projet « Dans ma bulle » certifié aujourd’hui disque de diamant par la Snep. Ce projet marque un tournant dans l’histoire du rap francophone au féminin mais également du rap français tout simplement, tant par la qualité du projet en lui-même que par l’influence et l’impact de celui-ci. Porté par des titres phares comme « La boulette », « Confessions nocturnes » en feat avec Vitaa, ou encore le titre très dénonciateur « Marine », ce troisième projet se place comme un classique du rap français et peut être, le premier du rap au féminin en France. Diams quittera finalement la scène musicale après son 4eme et dernier projet « SOS » par l’intermédiaire d’une outro de 10min qui sonne comme un adieu dans laquelle la rappeuse retrace son parcours grâce à un texte tranchant, agressif et à la fois léché. Ainsi Diam’s c’est celle qui incarne au mieux le rap français au féminin grâce à des textes marquants, une vision très différente de ce qui se faisait à l’époque, une voix qui transmet à la fois une certaine virilité féminine et en même temps une douceur réelle et une image dans le rap game qui force le respect auprès des autres rappeurs. Ce respect se traduit par des « shooting out » dans les textes d’autres artistes notamment son camarade essonnien Sinik qui, dans son morceau « Dans le vif » issu de son 3eme album, rappe « à l’heure où les petites font du surplace, le rap au féminin n’a qu’un seul blaze ». 

2006 c’est aussi l’année de sorti de l’album d’une autre rappeuse très engagée nommée Keny Arkana qui sort son deuxième album « Entre ciment et belle étoile », un projet qui inclus le titre « la rage » un morceau dans lequel la rappeuse ayant grandi à Marseille dénonce les dérives d’un système qui rythme notre quotidien à travers un texte tranchant, une voix qui transpire la rage même récitée dans son titre et une instrumentale agressive et lourde. Keny Arkana est encore aujourd’hui considérée comme une figure emblématique du rap au féminin et continue de collaborer avec des rappeurs modernes comme Jul qui l’a invitée sur les albums « 13 organisé » et « Le classico organisé ». Au-delà de ces collaborations, la rappeuse française n’a pas cessé d’être productive et aime satisfaire son public en continuant de lui offrir des albums comme en 2021 avec son dernier projet en date « Avant l’exode ». 

Une dernière décennie en demie teinte pour le rap au féminin 

Alors que le rap francophone au féminin a connu son décollage au début du millénaire qu’en est-il des artistes féminines de la dernière décennie ? Depuis 2010 il est de plus en plus rare de voir des artistes telles que Diam’s et Keny Arkana réellement transpercer le rap français et ce sont essentiellement des artistes masculins qui prennent la place au premier rang des ventes, streams et passage radio. En effet, les artistes féminines ont eu plus de mal à faire entendre leur voix, placer leurs textes en radio et si elles en ont l’occasion, elles doivent beaucoup jouer sur un double plateau alliant rap et chanson. L’artiste qui incarne ce style est l’internationalement reconnue Aya Nakamura. Après un premier album à la DA très féminine, l’artiste française a profité de son deuxième projet pour sortir des morceaux plus rappés ou du moins qui se rapproche de ce style. Alors que certains artistes remettaient en question ce statut de rappeuse, Aya Nakamura a été approchée par Netflix pour participer au jury de la troisième saison de Nouvelle Ecole. Cette émission débutée en 2022 a pour but de faire émerger de nouveaux talents masculins et féminin et si elle a permis à Aya Nakumara de prouver sa légitimité dans le rap français, elle permet aussi à certaines artistes de se faire connaitre. Lors de la première édition la rappeuse Leys est par exemple arrivée en finale après de belles prestation et à prouver que les femmes avaient également la capacité de rapper, elle a d’ailleurs profité de sa visibilité pour dénoncer le traitement des femmes dans l’industrie du rap. Elle expliquait :

“Il y a les deux extrêmes. Soit on va te demander d’être une meuf très féminine qui parle de sexe dans ses textes, qui sexualise la femme, soit d’être très masculine, il faut presque faire la femme de quartier ». Si Leys s’est fait connaitre grâce à l’émission Nouvelle École d’autres rappeuses francophones ont marqué la scène rap de la dernière décennie grâce à des propositions fortes et ambitieuses. C’est le cas de la rappeuse marseillaise Doria qui propose des morceaux crus dans lesquels elle rappe la rue à travers des textes travaillés, imagés et rapper à l’aide de l’autotune sur des titres comme « Pochtar-dodo » ou « Le dilemme ». Son talent lui a permis de collaborer avec des artistes comme Jul ou Sofiane Pamart ce qui témoigne d’une véritable capacité à tenir son rang dans le rap français. Au-delà des frontières françaises Shay est surement l’artiste qui incarne au mieux l’image du rap au féminin, si l’artiste belge aime jouer sur le terrain RNB ou pop elle confirme sans cesse son statut de rappeuse par l’intermédiaire de titre comme « DA » ou « Paradis » en featuring avec SCH. Shay, qui est l’une des plus grosses vendeuses dans la catégorie féminine du rap français a réussi à s’affirmer dès 2016 avec des titres issus de son premier album « Jolie garce ». Elle continue de prouver sa valeur encore aujourd’hui malgré les critiques incessantes (dont beaucoup sont dû au fait que c’est une femme). 

Une présence plus chantée que rappée

De manière assez injuste, les femmes peuvent avoir une place plus importante dans le rap en tant que chanteuse que rappeuse. Au fil du temps, les collaborations entre rappeurs et chanteuses pop ou RnB se sont largement développées que ce soit sur le continent américain ou en Europe et cela permet à beaucoup de femmes d’élargir leur public et de se faire connaitre. Pour rajouter une touche de féminité dans leurs albums souvent réputés violents et crus, les rappeurs font de plus en plus appel à des voix féminines pour les accompagner sur leur refrain ou même leur proposé un couplet. Ces collaborations permettent de proposer des morceaux au style très accrocheur mélangeant une virilité affirmée et une douceur apportée par la chanteuse. L’un des titres qui symbolise au mieux ce style est surement « Love the way you lie », un morceau de Eminem en featuring avec Rihanna présent sur l’album « Recovery » sorti en 2010. Ce morceau débute par le refrain chanté par Rihanna et se poursuit par un couplet de Eminem accompagné par le début de l’instrumental confirmant cette volonté de séparer la douceur et la violence. Ce morceau s’inscrit à la longue liste des classiques du rappeur américain et sera accompagné d’une deuxième collaboration entre les deux artistes qui sera tout autant réussie, « the Monster ». Mais The slim shady n’est pas le seul artiste à mélanger rap et mélodie féminine. En effet, dans le sens inverse, Jhene Aiko collabore souvent avec des rappeurs pour offrir des morceaux calmes, doux qui peuvent faire sortir les rappeurs de leur zone de confort. Des titres comme « 10k hours » en featuring avec la légende Nas, « From time » en collaboration avec Drake ou encore la complicité qu’on retrouve sur deux morceaux « In the dark » et « Sativa » avec Swae lee participe à cet essor des associations entre rappeurs et chanteuse. 

Sur le marché américain d’autre type de stratégies ont émergé notamment chez les best sellers que sont Nicki Minaj et Cardi B. Si celles-ci se placent très clairement comme des rappeuses, en témoigne le grammys du meilleur album rap de l’année remporté par Cardi B en 2019, elles n’ont pas hésité à explorer le terrain de la musique Pop afin de toucher un plus grand public et gagner leur vie grâce à la musique. Nicki Minaj a multiplié les morceaux plus pop que rap et aujourd’hui son titre le plus ecouté sur Spotify n’est autre que « Starships » qui cumulent plus d’un milliard de stream, un morceau pourtant très éloigné de l’univers rap. Celle-ci déplorait d’ailleurs un sexisme rampant au sein du milieu rap aux Etats-Unis « Les femmes doivent travailler deux fois plus dur que les hommes pour avoir seulement la moitié du respect de la part de leurs pairs masculins. Quand est-ce que ça s’arrête ? »

Les rappeurs français l’ont également bien compris et multiplient les associations avec des chanteuses francophones mais également anglophones. Le premier à avoir essayé ce type de collaboration est comme souvent Le duc de Boulogne, le Kop. Souvent connu pour son avant-gardisme, Booba a profité de la sortie de son premier album « Temps mort » en 2002 pour inclure un morceau en featuring avec Kayna Samet sur le titre « Destinée » considéré aujourd‘hui comme un classique. Il la dédicacera quelques années plus tard sur le titre « kayna » sorti en 2021. Mais ce phénomène s’est développé depuis cette première tentative et on a pu apprécier de multiples collaborations entre rappeurs français et chanteuses apportant cette légèreté recherchée. Des associations entre Hamza et Christine and the queens, Hamza et Aya Nakamura (sur le même album), ou encore Dinos et Marie Plassard ont par exemple marqué des albums reconnus par leur touche de féminité et ont permis à ces albums de se placer parmi les meilleurs du rap français moderne.

Ce phénomène s’est tellement répandu que certain rappeur ont choisi d’avoir recours à l’autotune afin de modifier leur voix et les rendre similaires à celle des femmes. Vacra en est le parfait exemple, lui qui a une voix très féminine dans ses morceaux. Parfois cela va plus loin et des rappeurs comme PLK ont recours à l’intelligence artificielle afin de remplacer leur voix par celle d’une femme comme sur le titre « Il pleut à Paris », issu de sa dernière mixtape « Chambre 140 » (projet le plus écouté sur Spotify en 2024).

Quand le Rap redéfinit la place de la femme dans ses lyrics

Si les femmes rappent et souhaitent s’affirmer dans les différents horizons musicaux elles sont également très présentes dans les lyrics des rappeurs. Que ce soit pour parler d’une relation amoureuse, pour déverser leur haine envers la gent féminine ou encore pour dédicacer des morceaux entiers à une femme les rappeurs aiment inclure les femmes dans leurs textes. Cette manière de parler des femmes est un moyen de produire des sons à vocations plus douces qui met la femme à l’honneur à l’instar de titres comme « Lettre à une femme » de Ninho, morceau le plus streamé de sa mixtape « M.I.L.S 3 » ou encore « Datcha » de Edge qui à travers un texte dansant, décrit physiquement une femme et la relation qu’il entretient avec elle. Au contraire les rappeurs peuvent dans leurs textes déverser leur haine envers les femmes à travers des lyrics insultant. L’un des titres les plus symbolique de ce type de morceau est sans doute « Sale pute » de Orelsan dans lequel le rappeur caennais joue le rôle d’un homme victime d’un adultère et qui envoie un message à son amante l’ayant trompé. Dans ce texte ultra violent, qui lui aura valu de passer devant le tribunal, Orelsan crache sa haine pendant 3 minutes enchaînant menaces, insultes et violence. De manière générale beaucoup de morceaux contiennent des paroles très crues et violentes envers les femmes ce qui peut poser un problème dans l’image renvoyée aux yeux du grand public. 

La figure de la mère est également très présente dans le rap, elle est sans cesse citée et certain titre comme « Avant qu’elle parte » de la Sexion d’Asssaut sont dédiés à elles. Les mères sont une figure très importante dans le rap de manière générale et il est déconseillé de s’en prendre à elles notamment à celle de Kalash Criminel qui rappait « j’incite pas la violence mais un ‘nique ta mère’ égal un mec en sang » dans le classique incontestable « Arrêt du cœur ». Mais parfois la mère est au cœur de titre sans que celui-ci soit élogieux envers elle. Eminem (encore lui) sortait en 2002 « Cleanin’ Out My Closet », un titre dans lequel le rappeur reproche violemment à sa mère de l’avoir maltraité durant son enfance et déclare qu’il aurait dû couper tous les ponts avec elle. Deborah R. Nelson-Mathers, mère de Eminem est d’ailleurs décédée il y a quelques semaines, le 2 décembre 2024, ce qui a déclenché une vague d’émotion liée à ce titre.

Ainsi le rap au féminin connait depuis des décennies des hauts et des bas couplant volonté de s’affirmer grâce au rap et obligation de sortir de ce style pour se faire entendre, mais une chose est sûre la culture hip-hop n’est pas priorité des artistes masculins et les femmes auront toujours la capacité de rapper et de faire leur place dans une industrie plus que réticente à leur présence.

Enjoy and stay tuned

Vincent Chaumeau

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