La saison des festivals à peine terminée, à l’heure où le froid s’installe et où la ville de Saint-Étienne est habituellement plongée dans un brouillard épais, le Positive Education Festival revient comme une tradition du mois de Novembre, une quatrième édition pour le plaisir de nos oreilles.
Comme chaque année depuis 2015, l’équipe du Positive Education fait resurgir le passé sombre et industriel de la ville de Saint-Étienne en y organisant l’un des festival français les plus pointus du genre. Avec toujours pour objectif de mêler anciens et nouveaux de la vague industrielle, EBM et newbeat, le crew stéphanois nous propose encore une fois une programmation des plus excitantes.
Saint-Étienne un territoire industriel
Une programmation pointue et surtout significative pour une ville comme Saint-Étienne qui s’est développée majoritairement grâce à l’industrie (métallurgie, mine, armes) et dont l’atmosphère est encore palpable.
Atmosphère que l’on ressent immédiatement en arrivant sur les lieux du quartier de la manufacture d’armes sur lequel le festival est implanté. Longs bâtiments en briques rouges et blanches désormais noircies, fenêtres d’ateliers aux petits carreaux vibrant sous l’intensité des sons industriels émanant des trois scènes. On imagine rapidement le vacarme des machines de l’époque faisant trembler les carreaux à leur tour. Comme si la musique refaisait naître le passé d’un lieu qu’il n’avait jamais oublié.
Les bâtiments datant de 1864 abritaient alors une importante production d’armes.
La partie centrale est aujourd’hui reconvertie en cité du design, l’un des secteurs moteurs visant à conduire cette transition de cité industrielle héritée du XIXe siècle à «capitale du design» du XXIe siècle.
Rien de plus symbolique donc pour le festival de s’implanter dans les locaux du quartier manufacture d’armes, aujourd’hui devenu véritable quartier créatif.
Vendredi
Arrivé Vendredi sur les lieux c’est au grand Marcel Dettmann que nous nous confrontons. Le résident du Berghain nous propose une techno aussi puissante que rythmée made in Berlin. Véritable tête d’affiche techno du festival, le Dj berlinois semble avoir établi une sélection adaptée à l’identité du Positive en jouant tant des tracks techno à l’acid bouillonnante que des morceaux plus froids aux vocals glaciales. Dettmann occupe la main stage (scène #1) du festival, scène au système son le plus puissant qui est d’ailleurs presque remplie.
Après s’être oublié un long moment devant les tracks jouées par le maître des lieux nous nous dirigeons ensuite vers la scène #3 afin d’assister au set de Vladimir Ivkovic. C’est une tout autre ambiance dans laquelle nous nous plongeons. Le Dj nous propose un set plus lunaire et nous accorde un véritable moment d’évasion en jouant des tracks plus mélancoliques aux phases remplies de nappes. Mais l’homme derrière le label Offen music arrive à garder son public en alternant sa sélection avec des sons plus rythmés tout en gardant une approche expérimentale, un set surprenant !
Petite pause, le temps d’une cigarette et de traverser le couloir extérieur menant à la scène n°2, on aperçoit au loin la tour de la cité du design, édifice moderne et épuré qui se fond parfaitement avec l’architecture brute, ancienne et tout aussi froide de la manufacture.
On entend au loin le live tant attendu du duo Deuil 1500, les carreaux vibrent toujours autant. La scène n°2 est moins remplie, ce qui nous laisse plus d’espace pour nous placer devant, au plus proche des deux artistes. Nous ne bougerons plus pendant 1h : le live proposé par le duo (Shlagga & Israfil) est une performance captivante tant sonore que visuelle.
Radical, puissant, prenant, leur live est un subtil mélange de rythmic noise expérimental et de post punk funèbre voire de black metal. Leur musique se compose de synths aux sonorités métalliques et industrielles, de voix graves saturées et cris semblable à des appels venant tout droit de l’au-delà. Les deux marseillais proposent un live set rituel, une musique pleine de spiritualité que j’ai personnellement plus intériorisée que dansée. Dans la salle, elle ne laisse personne indifférent et marque les esprits.
En bref, Deuil 1500 fut une superbe manière de clôturer ce deuxième soir riche en émotions, comme une montée en puissance vers la troisième soirée, closing du festival qui s’annonce violente.
Samedi
Le repos fut de courte durée, c’est déjà le dernier jour pour le positive éducation festival et non pas des moindres. Les soirées allant crescendo, nous savions que ce closing allait être particulièrement intense avec une programmation plus brutale.
À peine arrivé sur les lieux c’est sans hésitation que nous nous dirigeons scène #2 pour assister au live que j’attendais le plus, celui des Giant Swan un duo anglais produisant un son techno unique totalement dérivé du punk. Leur set up est très hybride et emprunte aux deux univers. Il se compose de synths modulaires, de micros et de dizaines de pédales d’effets et d’amplis venant triturer la voix et les rythmes lancés par les deux anciens membres du groupe de rock The Naturals. Le résultat est étonnant, une sorte de techno instrumentale plutôt rapide, parfois breakée, parfois noise mais toujours dans une approche expérimentale : leur live est improvisé. Loin d’être mindfuck ou trop noise leur set est énergique et dansant, la scène s’est d’ailleurs remplie, beaucoup de danseurs se déchainent.
Mais un live des Swan c’est également une performance visuelle. Les deux anciens rockeurs n’hésitent pas à danser sur chaque rythme lancé, ils vivent littéralement leur musique et arrivent parfaitement à la transmettre. Le chanteur arrive même de temps en temps à occuper l’espace en se rapprochant face au public. Ils remettent ainsi en cause les « codes » de la techno dont celui du Dj froid et distant ce qui donne d’ailleurs bien plus d’impact et de puissance à leur live.
Pendant ce temps là, sur la scène #1 se produit un autre live, unique en son genre lui aussi : celui des Ninos du Brasil. Les deux italiens se produisent en live assez rarement et proposent un set s’apparentant à un vrai show. Sur scène on aperçoit des surdos, caixas, tambourins et autre percussions brésiliennes. Le duo utilise des instruments traditionnels brésiliens pour produire un live techno oldschool des plus rythmés. Une plongée dans une jungle sonore, une atmosphère tribale, leur live techno est une véritable célébration entrecoupée de noise rythmique et de chants, un véritable coup de coeur !
Leur live à peine terminé, nous nous redirigeons rapidement sur la deuxième scène du festival afin d’assister au Dj set de Soft War, duo composé de la Dj techno AZF qu’on ne présente plus et de December, un producteur français aux influences EBM, industrial et noise désormais habitué au Positive. Les deux Dj ont décidé de ne laisser personne tranquille et enchainent les bangers. C’est un set efficace et sans concession qu’ils nous proposent. Le mélange des deux influences se ressent, au final le duo joue un set d’EBM techno hyper rythmé. L’heure tourne, les tracks s’enchainent pendant que les danseurs se déchainent alors que Paula Temple débute son set sur le main stage.
La scène #1 est désormais complètement remplie, tout le monde est venu voir Paula, digne héritière de la techno UK et habituée aux plus gros festivals européens. Comme à chacune de ses apparitions la Dj anglaise délivre un set parfait tant sur sa technique que sur sa sélection. La Dj nous délivre une techno obscure, dure, sans concession aux kicks violents et rythme effréné. Là où Paula excelle c’est dans sa capacité, à faire prendre une forme complètement nouvelle à des sons sur scène pourtant déjà puissant. Montées fracassantes, beats froids et intenses, la Dj anglaise maîtrise son set de bout en bout ce qui semble plaire à une foule désormais devenue hystérique. Mais si Paula nous a hypnotisé pour un instant, nous ne pouvions pas manquer celui qui clôturera la deuxième scène du festival à savoir : Manu le Malin.
Inutile de vous présenter Manu, véritable légende du genre hardcore, figure de proue du mouvement rave, il clôturera cette quatrième édition du Positive Education Festival sur un fond doomcore / industrial hardcore des plus poignants. Comme à chacun de ses sets, Manu nous raconte une histoire, une forme de poésie dans le dark et dans l’ultra violence. Toujours sur vinyle, sa manière singulière de mixer en surprend beaucoup encore aujourd’hui. Il sort d’ailleurs la foule de sa zone de confort en jouant un dernier track crossbreed mêlant drum’n’bass et sonorités hardcore, nous nous quitterons sur ce break.
Au final une organisation bien menée, une programmation exclusive avec des artistes que l’on ne voit nulle part ailleurs, le tout dans un décor industriel par essence : le Positive Education Festival n’a rien à envier aux plus gros festival français voire européens. Le pari est réussi, le rendez-vous est pris, chaque année Saint-Étienne accueillera ce qui semble être le début d’un festival de référence de la scène électronique alternative européenne.
Bérenger