Dans la musique et le sport, il y a souvent eu un lien étroit presque unilatéral. Les sportifs écoutent de la musique pour se motiver, se concentrer, faire abstraction de leur environnement, pour évacuer la pression et offrir toutes leurs ressources sur leur champ de bataille. Néanmoins, les artistes, bien que potentiels amateurs de diverses pratiques sportives n’en fissent pas toujours mention au sein de leurs chansons. De nos jours, avec l’explosion du rap définitivement ancré dans la culture populaire au même titre que le sport le plus regardé du monde, nous retrouvons un lien entre cette musique et le football quasi systématique. La rencontre de ses deux mondes est une bombe culturelle amorcée par IAM en 1993 avec leur titre “Le feu” qui reprend des chants de supporters de l’Olympique de Marseille.
Mêmes racines
Le rap et le Football sont deux pratiques très populaires, aujourd’hui plus que jamais dans notre pays.
Au sein des quartiers, dont les plus défavorisés, l’état français a mené une politique qui a permis d’offrir des « city stadium », c’est-à-dire des petits terrains de football où l’on joue environ à cinq contre cinq dans de petits espaces, ce qui est vecteur d’un développement technique considérable. C’est tout simplement l’âme du football. Pour jouer au football, nous n’avons ni besoin de raquettes, ni de filets, ni d’accessoires particuliers, pas même d’un terrain pour certaines parties. Contrairement à la quasi-totalité de tous les sports collectifs, pour jouer au football, nous n’avons presque besoin de rien : deux vestes pour faire les cages et un bouchon de compote, un caillou ou n’importe quoi d’autre qui est à peu près rond et suffisamment lourd pour jouer avec.
Le rap, de son côté est tout autant accessible. Il suffit d’une instrumentale que l’on retrouve sur n’importe quelle plateforme de musique ou de vidéo comme YouTube, puis d’écrire sur un papier le texte en question qui va être rappé. En plus de l’accès aux nouvelles technologies qui facilite considérablement le travail du rappeur et de son équipe, il y a au sein des banlieues défavorisées, un accès aux maisons de quartier qui offrent parfois la possibilité d’être accompagné pour faire de la musique. Les rappeurs les plus connus sont l’illustration même des racines populaires de cette musique, à la base utilisée en France pour dénoncer certaines injustices intrinsèques aux banlieues.
Nous retrouvons donc des racines populaires communes entre ces deux univers qui semblent pourtant très éloignés à première vue tant le style de vie de leurs protagonistes respectifs diffère.
Prenons les quinze premiers rappeurs ou groupes de rap qui ont le plus vendu d’albums dans l’histoire du rap français. Nous avons entre Jul, McSolar, PNL, Booba, Rohff, Ninho entre autres, uniquement des artistes issus de banlieues, de quartiers populaires. Quel que soit leur couleur de peau, ce n’est pas une affaire de race mais bien de classe.
Si nous prenons l’équipe de France à la coupe du monde 2018, nous observons selon le « New York Times » que 8 joueurs des 23 sélectionnés ont commencé leur vie en bas des tours HLM en banlieue Parisienne, véritable vivier de talents footballistiques. 35% des joueurs de l’équipe de France sont issus de banlieues parisiennes, que ce soit Mbappe de Bondy, Pogba de Saine et Marne ou encore Kimpembe d’Eragny-Sur-Oise. Même des joueurs internationaux sont parfois issus de banlieues Parisiennes comme le magicien Algérien Mahrez de Sarcelles ou encore l’Ivoirien Aurier issu de Sevran, véritable référence géographique dans le rap Français
Vous l’avez compris, ces deux univers ne sont pas liés par leur activité, mais par leurs racines, par leur culture populaire, par la ferveur qu’ils nourrissent et par la réussite en partant de rien ou presque.
Un amour partagé
Les footballeurs aiment le rap autant que les rappeurs aiment le foot et c’est à travers une multitude de phases offensives rapologiques que nous allons le redécouvrir.
Les rappeurs, souvent issus des quartiers populaires baignent dès leur plus jeune âge dans une atmosphère propice au foot, entre city stade, cité et activités en tout genre. Comme Lesram le dit si bien dans Lunettes de soleil avec le Panama Bende en première phase d’un morceau où le rappeur raconte son été au quartier « j’ai passé l’été dans la zone entre les grands et les ti-peu à faire rentrer des 10 e, ça passe au stade faire un foot sur l’synthétique on veut pas perdre sur le banc y’a au moins 5 équipes ». Son coéquipier ASF reprend le ballon dans le deuxième couplet et sans même jouer au foot il dit « j’ai besoin d’air, j’passe derrière l’city dire bonjour fumer le joint d’herbe ».
Le city stade, le foot sont des éléments fédérateurs dans les quartiers populaires que l’on joue ou non, c’est un élément incontournable qui fatalement se retranscrit dans les écrits des acteurs ou plutôt des auteurs d’un autre terrain que celui sur gazon.
L’exemple de Niska illustre parfaitement l’intime relation qui s’est développée entre le football et le rap à travers un clip qui affiche fièrement son amour pour le Paris-Saint-Germain par l’habillement de chacun des protagonistes en survêtement du club, avec des drapeaux, des ballons, des gants aux couleurs du club. Ce clip qui avoisine les 100 millions de vues est emblématique de par sa fameuse phase dont s’est emparé un grand public en France dont notamment le principale concerné, le joueur du PSG Matuidi avec « Matuidi charo » accompagné d’une danse des plus surprenantes que le joueur a réalisé de nombreuses fois après ses buts au sein du club parisien. Ce geste a notamment été repris par le légendaire Neymar en tant que célébration, un clin d’œil au rappeur qui n’est pas passé inaperçu. Les rappeurs parlent des joueurs qui eux-mêmes imitent désormais les rappeurs.
Nous pouvons même aller au-delà avec des footballeurs qui sont bel et bien rappeurs, aussi surprenant que cela puisse paraître. En effet, le talentueux Memphis Depay joueur de l’Olympique lyonnais, connu dans le monde entier fait aussi du rap, des clips et ça marche ! Son clip 2-Corinthians 2 :7 comptabilise plus de 3 millions de vues. Il bénéficie bien entendu de sa notoriété mais son talent en tant que rappeur est plutôt reconnu. A l’inverse, le joueur de l’US Sassulo calcio Dinor, lui s’est d’abord fait connaître auprès du grand public en tant que rappeur avant que l’on ne comprenne qu’il est aussi footballeur. C’est en effet très récent que des footballeurs soient aussi rappeurs, c’est la preuve du lien sacré qui s’est développé entre ces deux disciplines.
Comment parler de l’amour des rappeurs pour le foot sans parler de Jazzy Bazz fidèle supporter du PSG ? Le poète parisien issu des quartiers populaires, comme beaucoup de supporters de longue date n’a pas supporté le changement du PSG sous l’ère Qatari qui a définitivement transformé ce club emblématique en une entreprise privée dont l’âme se résume au profit selon de nombreux supporters.
Jazzy Bazz, à travers un clip qui ne laisse indifférent aucun supporter, quel que soit son club de cœur, a montré son amour pour ce sport, pour ce club qu’il ne reconnaît plus. Nous parlons ici bien entendu du clip « Ultra Parisien », véritable hymne de supporter où le rappeur nous dit que dès ses huit ans, le ballon rond devient sa raison de vivre définitivement. Ce titre a touché beaucoup de supporters car malgré un discours porté sur son amour pour le PSG, Jazzy bazz a su retranscrire des émotions universelles. Il a rassemblé tous les fans de foot autour d’un même combat pour donner plus de pouvoir de décision aux associations de supporters. Avant le refrain, le rappeur affirme « De Paris à Marseille j’sais qu’tous les ultras me comprennent », lorsqu’un fan de football entend cela, peu importe son équipe, on ne peut enterrer les frissons.
Jazzy Bazz n’est pas le seul à porter fièrement ses couleurs en France. Nous avons eu l’occasion d’observer et d’écouter le clip Bande organisée, titre phare de la compilation 13’Organisé. Ce clip, au même titre que le projet ne regroupe que des rappeurs marseillais. Ce qui nous intéresse ici, c’est encore une fois le lien qu’entretien le rappeur avec le football qui, ici ne s’illustre pas à travers les paroles mais par l’emplacement d’une partie du clip, nous parlons ici du Vélodrome, le stade mythique phocéen. En effet, les rappeurs habillés aux couleurs de l’OM ont eu les autorisations pour se rendre sur le terrain et faire un bon coup de communication pour le club. C’est une opération très maligne de la part du club mais aussi des rappeurs. Cette opération avait déjà été réalisée en 2007 avec Soprano pour le clip Halla Halla dans lequel Pape Diouf, président du club joue le jeu et apparaît dans le clip. C’est un événement marquant du rapprochement entre le rap et le foot.
Nous trouvons aussi cet amour pour son club dans d’autres villes comme Toulouse avec Big Flo et Oli qui ont rempli deux fois le stadium, l’enceinte du TFC dans la même semaine. Leur rêve de fidèle supporter a été réalisé avec brio. Les Toulousains se souviennent tristement de la mort de Brice Taton à Belgrade, supporter tué lâchement par des Hooligans Serbes en 2009. Les deux frères Toulousains avaient fait un titre pour lui rendre hommage.
Nous pouvons aussi citer le jeune rappeur Lu’K btclan qui ose les références à son club de cœur dans de nombreux morceaux dont le dernier en date Focus car malgré la descente du club en ligue 2, les supporters se reconnaissent à leur capacité à se mettre au service de leur club dans les moments critiques « Et TKT j’reste un supporter du Toulouse football club même en ligue 2 BKT ».
JeanJass, grand amoureux du football fait aussi dans la finesse et utilise le joueur Riquelme afin de personnifier le fait de satisfaire sa copine « Elle me dit qu’elle m’aime, j’lui mets entre les jambes comme si j’étais Riquelme » en référence à ce fameux petit pont en roulette inimitable.
Un autre événement a marqué l’histoire de cette relation entre foot et rap. Il s’agit de l’apparition de Vegedream sur le stade de France accompagné de tous les joueurs pour célébrer la victoire des Bleus. Cela peut nous paraître anecdotique, mais un rappeur qui va sur le terrain avec tous les joueurs de l’équipe de France chanter, danser et rigoler ensemble en osmose avec les supporters, c’est historique.
Comme nous pouvons le constater, chez les rappeurs actuels, les phrases sur le foot sont souvent mélioratives, permettent de soutenir un club, de montrer ses connaissances footballistiques, de se comparer à un joueur ou à une équipe ou de simplement parler de son quotidien. Certaines phases montrent d’autres facettes comme Alpha Wann dans le titre Langage crypté « le public est proche comme en première league ». Ce qui fait référence à la structure des stades anglais dans lesquels le public est très proche du terrain. On se souvient de cette volée acrobatique de notre chère Eric Cantona sur un hooligan qui témoigne de cette proximité. Alpha wann, connu pour sa technique au même titre que le FC Barcelone le démontre sur le morceau Barcelone « Technique tout le temps, nous quand on joue c’est le Nou Camp ». Le camp Nou étant le stade de cette équipe légendaire
Rares sont les phases de rappeur qui critiquent les joueurs de football. Nous pouvons en citer trois qui ont eu un impact important sur l’auditeur qui est pris en contre-pied avec Alpha Wann, Gradur ou encore le tant controversé Freeze Corleone.
Dans un premier temps, Gradur dans Terrasser lance un attaque personnelle à certains footballeurs en raison de l’arrogance dont ils ont pu faire preuve en boîte de nuit avant de se retrouver sans club, livré à eux-mêmes « tous ces bâtards de footeux qui nous regardaient de travers dans la boîte avec leur gros salaire, maintenant ils ont plus de club aujourd’hui aucun diplôme la roue a tourné bâtard tu galères ».
Freeze Corleone s’en est pris à un joueur de l’équipe de France pourtant très populaire en raison de son attitude qui ne correspond pas à l’image qu’il se fait selon ses mots d’un « vrai N**** ». Il s’agit ici de Paul Pogba, un joueur que l’on connaît extravagant et extraverti qui s’est retrouvé en tant que danseur sur la table du vestiaire de l’équipe de France pour célébrer une énième victoire avec les Bleus « Vrai N**** jamais j’danse sur une table comme Pogba ». Une phase qui n’est pas passée inaperçue de par sa violence vis-à-vis d’une personnalité célèbre et appréciée par les français.
Pour finir, nous retrouvons Alpha Wann dans La lune attire la mer compris dans la Don Dada mixtape concernant le comportement des footballeurs qui, malgré leur réussite sociale et professionnelle s’accrochent à leur quartier et veulent être respectés dans un cosme où délinquance est plus attirant que réussite « la street rêve du foot mais les footeux rêvent de la street, millionnaires ils préfèrent trainer avec des voyous que mettre des hat-trick ».
Le rap combiné au foot, véritable arme commerciale
Dans le monde du commerce, les publicitaires, les responsables de communication ont très bien compris ce lien qui s’est créé entre ces deux disciplines mais ont surtout compris que la clientèle du rap est une communauté qui est aussi cliente de football. C’est une communauté dynamique, active et qui achète. La capacité d’influence des rappeurs chez les jeunes combiné aux footballeurs est une véritable arme commerciale qui représente une source de revenue considérable pour les marques ainsi que pour les clubs.
Le premier exemple que l’on peut donner pour illustrer les collaborations réunissant ces deux univers est sans doute la publicité de l’Olympique de Marseille pour communiquer sur la nouvelle saison en 2018 et fatalement déclencher la vente de maillots du club mais aussi des abonnements pour voir les matchs durant toute l’année. Cette publicité novatrice réunit le rappeur marseillais Alonzo, connu pour son attachement à l’OM, mais aussi à la grande surprise de tout le monde, le footballeur Maradona souvent désigné comme étant le meilleur joueur de l’histoire du football, rien que ça.
Cette publicité invraisemblable de par son aspect très cinématographique avec des costumes, du maquillage digne de grandes productions a été un outil de communication redoutable. L’utilisation d’un rappeur pour promouvoir un club est tout simplement magique pour les supporters marseillais qui est, il faut le rappeler, une des terres fondatrices du rap en France et qui est toujours un pion très important dans l’échiquier actuel. Cette communication est donc d’une pertinence sans précédent, particulièrement pour ce club, pour cette ville.
Un an plus tard, en raison de l’efficacité de la publicité précédente, le club réitère et réalise une communication sous la forme d’un clip musical pour dévoiler les nouveaux maillots de la saison 2019. Encore une fois, nous retrouvons Alonzo, mais aussi JMK$ ainsi que DJ Aron. L’ensemble de la musique est porté sur le club et le refrain sur les nouveaux maillot. La communication du club est très portée sur l’utilisation de rappeurs en raison de leur influence sur notamment les plus jeunes qui s’identifient à ces derniers. La répétition de ce type de communication est la preuve formelle de son efficacité, d’autant que ce n’est pas fini.
Pour terminer sur les actions commerciales avec le club phocéen, en 2020, le compte officiel YouTube de l’Olympique de Marseille a mis en ligne une publicité pour Uber Eats nommée « Faim d’Europe » faisant référence à la volonté du club de remporter des trophées au niveau européen. Nous retrouvons encore le rappeur Alonzo, que l’on peut désormais surnommer « l’ambassadeur de l’OM » accompagné de son confrère l’Algerino pour une vidéo de deux minutes réunissant à la fois clip musical et humour. Une touche humoristique était presque nécessaire pour ne pas se tourner au ridicule en rappant sur Uber eats dans le vestiaire de l’OM entouré des joueurs dont le célèbre Dimitri Payet. C’est donc au final une publicité encore très pertinente qui combine football et rap au plus grand bonheur du porte-monnaie des annonceurs et des marques associées.
En 2018 a eu lieu la finale de la compétition de football amateur la « Tango league » sponsorisée par Adidas afin de promouvoir sa nouvelle gamme de produits sportifs. Pour cette opération réalisée en France, Adidas a invité des joueurs de l’équipe de France pour augmenter la visibilité ainsi que la crédibilité de l’événement. Parmi les joueurs invités nous retrouvons Pogba, Kimpembe, Thauvin ou encore Dybala l’Argentin afin d’offrir une dimension internationale à cette finale. Lors de l’événement, Adidas a proposé plusieurs concerts avec le rappeur Sofiane ainsi que Soolking habillés avec les produits de la marque dans le but de faire parler de l’événement et de montrer à l’audience des personnalités influentes qui sont finalement des prescripteurs d’achats pour les jeunes. Encore une fois, l’association entre football et rap a très bien marché, cette finale est devenue virale et Adidas a pu profiter de la communauté des footballeurs ainsi que des rappeurs.
Pour finir, le Stade Brestois a réalisé un coup de maître en annonçant l’année dernière la prolongation de contrat jusqu’en 2023 de son joueur Haris Belkebla à travers un clip musical d’une minute. C’est bel et bien le joueur lui-même qui rap un couplet incisif pour annoncer la nouvelle aux fans et franchement, ça vaut le détour. C’est encore une fois une belle opération de communication amorcée par le club au plus grand bonheur des supporters.
Le foot et le rap sont de nos jours inséparables de par leurs racines communes, leur force culturelle, leur capacité à fédérer ainsi que par l’amour mutuel dont ils font preuve. Nul n’aurait pu prédire un tel lien il y a seulement une trentaine d’années. Peut-être que dans le futur, en France, les rappeurs auront des parts de clubs, créeront des agences de joueurs et que d’ex-joueurs de foot seront propriétaires de studios, seront beat makers, manageurs d’artistes. Nul ne saurait le prédire aujourd’hui, mais nous pouvons affirmer sans trembler que ces deux disciplines nous réservent des surprises.
Enjoy & Stay Tuned.
Dimitri Mazin