Le 19 mars 2021, SCH a sorti le tome II de la trilogie JVLIVS. Un mois plus tard il est temps d’observer en détail cet album tant attendu et d’en faire un bilan.
Le contexte
Depuis 2015 avec sa mixtape A7, SCH s’est imposé comme l’un des meilleurs rappeurs francophones sur la scène musicale, peut-être même le meilleur en solo.
Il s’est fait connaître avec le classique John Lennon à travers une vidéo du studio du S et son équipe. L’ambiance sombre, presque macabre dans laquelle résonnait un cri tout droit sorti des enfers méditerranéens a conquis de nombreux auditeurs. Poliakov en mai, doigt levé, SCH était né.
Nous sommes aussi passés par la fameuse malette que brandit fièrement le natif de Marseille devant des banques Suisses, la faim le guidant, l’argent comme objectif premier.
Puis A7 est arrivée et a frappé un grand coup le rap français. Le marseillais a amené quelque chose de nouveau en 2015 dans un rap en pleine mutation qui voit aussi émerger PNL et une nouvelle utilisation, voir une démocratisation de l’autotune.
Le titre éponyme du projet, Gomorra, Solides, Rêves de gosse, Fusil ou encore Champs-Elysées ont laissé une trace indélébile dans le rap francophone. Déjà passionné de cinéma, SCH a adopté une stratégie d’incarnation de personnage et ce, de façon pleinement décomplexée. Dans le clip de Gomorra, le S amène une esthétique nouvelle, une gestu singulière et une voix unique accompagnée de rimes percutantes.
Puis arrive en 2016 le premier album d’SCH Anarchie disque de platine seulement trois mois après sa sortie. Le personnage se dévoile de plus en plus et démontre toute l’étendue de son talent sur le titre éponyme du projet. SCH met tout le monde d’accord avec ce titre de six minutes, c’est un rappeur que l’on respecte et qui suscite l’admiration. Au niveau de l’écriture, Anarchie a marqué un tournant dans la carrière du rappeur.
Un an plus tard, le S sort Deo Favente traduit du latin « Par la faveur de Dieu ». Le personnage se complexifie, la touche mafieuse méditerranéenne aux allures italiennes se fait sentir de plus en plus.
Le rappeur réitère sa volonté de faire un titre purement rap à sa manière comme le son Anarchie cette fois-ci avec Comme si qui encore une fois fait mouche. On retiendra notamment les titres Slow mo, Nino Brown, MAC 11 et 6.45i qui montrent que le S innove dans ses sonorités, ses flows et montre de nouvelles facettes de son talent.
On en vient enfin à JVLIVS sorti en 2018. Difficile de résumer un album qui s’apparente à un film en quelques mots. C’est tout simplement la quintessence du talent de SCH. La direction artistique assurée par Katrina squad comme véritable architecte y est pour quelque chose. Accompagné de Guilty à la prod, le projet fait ressortir une esthétique particulièrement travaillée. Le personnage SCH est plus cinématographique que jamais. La création de son propre label « Maison baron rouge » peu avant la sortie de JVLIVS joue un rôle essentiel dans l’indépendance artistique de cet album géré de bout en bout par lui et les siens.
Une ligne directrice est clair, les prods sont soigneusement choisies et le S rentre véritablement dans son personnage mêlant fiction et réalité. C’est plus que romancer sa personne, c’est créer une véritable identité inspiré de lui-même. Les références à son père ne sont pas le fruit d’une invention, son décès joue un rôle majeur dans la tristesse du rappeur, dans sa soif de vengeance et de réussite. Comme l’atteste le titre dédié à son paternel Otto, les émotions transmises par le rappeur sont d’une puissance incomparable et ce, couplé à une instrumentale de Katrina squad aux notes de piano sombres pour un résultat tragiquement sublime.
La cover de l’album évoque déjà quelque chose de très cinématographique. On peut y voir assez aisément un homme de pouvoir qui ne fait pas que dans la légalité. Un homme de la mafia italienne doigts croisés entre les mains comme si quelque chose d’important était en préparation tout en étant recouvert d’ornements. Peut-être sont-ils gagnés via un trafic de drogues, d’armes ? Ou bien récupérés sur la charogne de l’ennemi ?
En tout cas on nous présente un personnage, pas une personne à part entière et c’est l’une des clefs de la réussite de cet album. Comme dit précédemment, on se croit dans un film lorsque l’on écoute JVLIVS, cette impression, cette sensation est considérablement accentuée par les interludes écrites par le grand Furax Barbarossa poète des rues de la ville rose et interprétées par le monument José Luccioni, voix française d’un certain Al Pacino. Comment offrir une touche plus mafieuse qu’en invitant la voix de Tony montana et de Michael Corleone pour raconter l’histoire du personnage entre certains titres de l’album ?
Vous l’avez compris, cet album a une identité extrêmement puissante dans la forme. Dans le fond, c’est tout aussi exceptionnel avec des rimes qui racontent des histoires et non des rimes qui s’enchaînent simplement parce que « ça rime ».
On ne répètera jamais assez que Guilty et Katrina squad ont offert une identité cohérente dans le choix des prods. Cette synergie entre chacun des acteurs impliqués a marqué un tournant dans le rap moderne dans la façon de concevoir et d’imaginer un album ainsi que dans la volonté d’installer une cohérence qui dépasse le simple projet musical pour s’élever au rang d’œuvre-d’art.
Une année plus tard, SCH s’offre le luxe de sortir Rooftop. Ce projet a permis au rappeur de faire ce qui lui plaisait entre le tome I et le tome II de JVLIVS qui demande un travail considérable. Il est difficile de combler les attentes de chaque auditeur après la sortie de son dernier projet qui a mis la barre très haute. Rooftop est considéré comme un projet plus « accessible », un projet qui vise une audience plus large et fatalement qui propose une esthétique qui ne correspond pas à l’image que l’on s’est faite de lui. Premièrement, la cover de l’album est symbolique de ce qu’est rooftop. On retrouve le S sur le toit d’un immeuble comme étendard de son succès avec un jet-privé crashé dans une immense piscine. On est bien loin du mafieux méditerranéen.
Attention, ce n’est pas pour autant que Rooftop est un mauvais projet ou que les titres ne sont pas bons. On constate seulement pour l’instant une esthétique bien différente de ce qu’il représente dans l’imaginaire collectif.
Dans le fond, dans la musique, on retrouve des titres très rap comme Cervelles, Interlude ou encore R.A.C qui viennent montrer que le S sait rapper et mieux que ça : qu’il est un excellent rappeur. Mais alors pourquoi parler d’un projet plus accessible ? Le S le dit lui-même en interview, avec certains titres de Rooftop il a touché la « ménagère », soit un public qui n’écoute pas de rap mais de la pop moderne. L’illustration par excellence de cette volonté purement commerciale est le featuring avec Maître Gims sur le titre Baden Baden. On note néanmoins que SCH propose un couplet assez fidèle à lui-même sur ce titre. Accessible parce que l’on retrouve un titre avec Heuss l’Enfoiré ou encore tonton Rim’k que l’on voit partout à ce moment-là et qui touchent une cible différente du S. On peut dire aisément que Rooftop n’a pas fait l’unanimité dans l’ensemble mais qu’individuellement les titres ont su séduire bon nombre d’auditeurs.
Enfin, avant de sortir le tant attendu tome II de JVLIVS, SCH s’est illustré sur la mixtape de 13 organisé qui rassemble les rappeurs marseillais. Malgré un certain succès commercial, le projet offre des morceaux qui laissent à désirer selon un certain nombre d’auditeurs…
De plus, on a pu voir SCH sur de nombreux featuring en 2020, une année sans projet mais prolifique pour le rappeur. On a vu SCH sous un autre jour en collaboration avec Koba la D et Rim’K, avec Guirri mafia, Nap’s, RK, son ami Jul, Naza ou encore avec Zola dans des ambiances plus joviales, plus chaudes, plus pop.
On a aussi eu la chance de le voir sur des ambiances plus rap avec Stavo, Da Uzi, Bosh ou encore Fianso.
Tout laisse à croire que le S s’éloigne de son identité JVLIVS pour mieux revenir en 2021 et mettre tout le monde d’accord. Nous allons voir maintenant ce qu’il en est.
JVLIVS Tome II
Nous y voilà. Plus d‘un mois après la sortie du tome II, nous allons regarder de plus près ce qu’il en est.
Premièrement, SCH nous a annoncé le projet avec un seul single, un seul clip : Marché noir qui, en intro a pris la forme d’un court-métrage. Le mafieux Italien laisse place à un personnage plus recentré sur Marseille et Gibraltar, plus recentré sur ce qu’est SCH. Les allures mafieuses qui sont ancré dans le cœur identitaire de JVLIVS prennent une forme plus méditerranéenne, le personnage est comme le dit le principal concerné « démystifié ». Les longues fourrures laissent place aux habits plus classiques sur le lieu de travail du personnage. Loin des églises romaines, des enterrements les jours de deuil, SCH est sur le port proche des porte-conteneurs.
Avec de nouveau Furax Brabarossa à l’écriture et José Luccioni à l’interprétation, on nous replonge au cœur de l’univers JVLIVS au bout de seulement 20 secondes de clip.
Les visuels, l’attitude et l’ambiance sont au rendez-vous pour nous refaire goûter au SCH du tome I presque oublié en cette année qui a vu le rappeur sur 13’Organisé et autres featuring qui sortent de cet univers qui nous plaît tant.
Quant au son en lui-même on est face à un SCH incisif technique et hargneux sur fond de flûte presque orientale. On sent une évolution dans le personnage qui arrive à respecter les codes artistiques du tome I malgré une difficulté évidente.
Puis on a eu la chance de voir un colors signé SCH à la manière de Freeze Corleone avant LMF, cette fois-ci avant le tome II. Le titre Loup noir s’est révélé être l’outro de l’album et quel outro !
SCH démystifie encore une fois le personnage, il se dévoile encore plus, rap puis chante sur les vraies choses qu’il vit, les vrais flingues qu’il a tenu, le vrai sang qu’il a versé et la seule femme qui l’a bercé.
Une structure musicale originale dans un personnage fidèle au projet avec une évolution intéressante. On comprend l’idée du tome II : ne pas faire un copier coller de JVLIVS premier du nom mais garder cette patte artistique qui lui est propre tout en faisant évoluer le personnage.
Un certain 19 mars, le tome II voit finalement le jour.
On écoute d’abord Gibraltar pour se mettre dans le bain, puis Marché noir et on arrive à Fournaise avec une instru jouée à la guitare par BBP, maître en la matière. On tombe face à un très bon titre, plein d’enthousiasme puis on passe au suivant : Aluminium. Encore une fois, le titre est appréciable mais là une question se pose. C’est bien JVLIVS tome II que l’on met sur l’enceinte ? Ou bien c’est rooftop tome II ? On pose cette question avec le sourire parce que ce n’est que le début et que les titres sont vraiment bons, mais il ne faut pas que ce sourire jaunisse.
Puis arrive le feat tant attendu entre les deux artistes que l’on a vu partout en 2020. Freeze Corleone et SCH sur Mannschaft (équipe en Allemand). On sent une volonté de nous faire voyager entre l’Allemagne et la méditerranée, de nous faire entendre le bruit d’une Audi A7 et de nous faire sentir l’odeur d’une mozzarella bien fraîche. Alors oui le son est excellent, le S nous livre un couplet digne du tome II mais Freeze ne rentre pas dans l’univers JVLIVS et se contente de découper la prod comme il sait si bien le faire. Le résultat est amère car le son est plus qu’appréciable mais on ne retrouve pas l’ADN propre du projet, c’est d’ailleurs illustré sur le clip qui ne fait pas référence à cet univers marseillais de malfaiteur avec, Freeze cagoulé en survêtement du Bayern Munich.
Le featuring avec Jul sur Mode akimbo est assez symbolique de la volonté du S de concilier sa fanbase du tome I et de Bande organisée comme il a pu le dire en interview. C’est pourtant deux univers très différents, par conséquent le résultat final ne peut satisfaire pleinement. Néanmoins, les ventes explosent et c’est un véritable succès commercial. Malgré cela, on ne jugera jamais la qualité d’un projet sur le nombre de vente. Nous étions en droit d’attendre un projet à la hauteur de JVLIVS premier du nom et la déception ne peut se nier après l’écoute de ce titre.
Les titres s’enchaînent et on comprend que JVLIVS tome II n’est pas complètement fidèle à l’univers du projet initial. Le personnage évolue oui, mais il en arrive à se détacher de cette identité si particulière.
On remarque tout de même des titres comme Euro, Grand bain, Loup noir, Marché noir, Mafia et Tempête qui s’ancrent pleinement dans ce tome II. On remarque aussi des prises de risque très intéressantes avec de nouvelles sonorités sur Crack ou sur le refrain de Grand bain par exemple. On retrouve aussi sur le titre fantôme SCH, Jul et le Rat luciano pour un titre 100% Marseillais qui s’inscrit très bien dans un JVLIVS de malfaiteurs du sud-est que l’on a que trop peu retrouvé sur l’ensemble du projet.
Nous avons parlé de Katrina squad en architecte avec Guilty à la prod sur le tome I, nous ne les retrouvons que très peu sur ce dernier projet. C’est l’une des explications clefs de ce manque de cohérence artistique avec des prods qui ne sonnent pas JVLIVS et c’est un véritable problème.
Pour finir, on se retrouve avec un très bon projet musical qui fonctionne très bien mais qui s’apparente plus à un Rooftop mélangé à l’univers JVLIVS plutôt qu’a une véritable continuité du tome I. Avec la barre mise aussi haute, on peut se permettre d’avoir des attentes particulièrement exigeantes.
SCH reste l’un des meilleurs rappeurs solos de ces dernières années et prouve encore une fois qu’il sait se réinventer, qu’il sait s’adapter et faire de la très bonne musique même si ce n’est pas celle que l’on espérait écouter sur ce projet en particulier.
Enjoy & Stay Tuned.
Dimitri Mazin