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Lesram capuche

Lesram, le rap entre deux époques

Lesram est très souvent apprécié des amateurs de rap, dont la technique et la maîtrise des mots, du phrasé, combinées à une importante authenticité artistique nous offrent un rappeur au style singulier qui ne fait que monter en puissance.

Histoire, évolution

Originaire du 93, dont on ne présente plus l’importance au sein du hip-hop français, c’est au Pré-Saint-Gervais, en banlieue que Lesram construit sa vie, ses influences, ses joies et ses peines qu’il retranscrit au travers de sa musique.
Son attachement au Pré-Saint-Gervais est essentiel, c’est le résultat d’un amour pour les siens, un amour pour sa ville, mais aussi, faute de moyen, une contrainte qu’il cultive. Celle de ne pas pouvoir se déplacer comme il le dit dans le titre PDP « Pour s’barrer faut les moyens donc j’suis jamais loin d’chez moi, j’suis tous les jours avec mes voisins »

Lesram et son rap voient le jour aux alentours de 2012 dans de multiples freestyles que l’on peut retrouver sur YouTube. C’est lors de cette période qu’il rencontre à l’occasion d’open mics, d’autres freestylers avec qui il va créer le groupe Panama bende, véritable tremplin de son début de carrière.
Il est primordial de rappeler que Lesram faisait aussi parti du collectif Les tontons flingueurs, qui est respecté pour sa qualité rapologique avec Lasco qui sera durant de nombreuses années son acolyte de freestyle, dont les identités artistiques possédaient certaines similitudes en termes de rimes, de rythme et de sujets abordés.

Le jeune MC fait la différence lors de ses apparitions au sein de ses deux groupes de rappeurs parisiens, mais se fait surtout remarquer avec le Panama bende qui dispose de plus d’exposition.
C’est en 2015 avec le morceau “Avé” qui comptabilise plus de 3,5 millions de vues que le groupe se verra ouvrir de plus en plus de portes de concerts et déclenchera des pogos intenses et interminables au plus grand plaisir du public dans le premier projet du groupe “Bende Mafia“.
Lesram montre déjà une certaine maîtrise des mots, un rap sans artifice qui fait mouche.

Avé

C’est néanmoins lors des titres à succès “Fêter” et le magnifique “Yuhi” dans le dernier projet de Panama BendeADN ” sorti en 2017 que Lesram dit « Marsou le matou » dévoile son art : survet du PSG, Asics aux pieds sans faire la moindre randonnée, rimes recherchées, technique indéniable et brutalité sans vulgarité font du rappeur un véritable atout dans le groupe en pleine expansion.
Dans le titre “Yuhi”, Lesram livre une prestation artistique qui aura marqué les esprits avec notamment sa phase sur sa capacité à faire de l’argent grâce à la vente de drogue qu’il détourne à travers le questionnement de sa mère sur ses nouvelles acquisitions matérielles. Une façon maligne de détourner un sujet violent avec une finesse qui lui est propre. « On fait les ouss’ au tiekson, maman s’pose beaucoup trop d’questions, j’ai pas d’travail mais un nouveau veston ».

Chaque rappeur a son gimmick et chez Lesram, c’est ancré dans son identité, chaque texte est accompagné de son fameux « Wesh enfoiré », encore une fois c’est avec brutalité non sans finesse que Lesram s’adresse directement à son auditeur, capte l’attention et construit son identité artistique.

Rares sont les apparitions du rappeur seul sur un titre, les auditeurs se contentent alors des vidéos YouTube “Wesh enfoiré compilation” regroupant les meilleurs couplets de l’intéressé, mais quand le titre “Relance” est sorti, nous avons découvert toute l’étendue de son talent. Clip en noir et blanc dans un parking, casquette vissée sur la tête, capuche, cigarettes et joints partent en fumée successivement accompagnés d’un rap hors normes. Le style de vie de Lesram mis en avant n’est pas celui d’un rappeur dans l’autoglorification, mais celui d’un jeune de banlieue qui rap la rue, qui rap sa vie au Pré-Saint-Gervais, qui ne se fait pas le porte-parole de la rue, mais seulement le témoin.
C’est une démonstration de rap qui mélange nostalgie, technique, schémas de rimes complexes, maîtrise de la langue et vocabulaire riche.
L’organisation Grünt que Lesram connaît bien puisqu’il a participé à plusieurs évènements, dans un registre musical qu’il connaît et qu’il maîtrise a proposé ce titre au sein de sa playlist, due à la qualité du morceau.

Relance

Puis, sont sortis les titres “Boosté”, “Galérer”, “PDP”, “Zone” ainsi que “J’repense”.
Lesram est dorénavant un artiste que l’on attend de voir en solo, après s’être construit en équipe.

Les amateurs de la musique de Lesram s’impatientaient de le voir sortir un projet qui est finalement arrivé en Mai 2020 : « G-31 ».
C’est à travers ce premier projet de 7 titres que Lesram nous offre un rap qui le caractérise, qui lui ressemble, un rap qu’il maîtrise de bout en bout.

Pochette du projet G-31

Lorsque le clip “East-Side 2.0” est sorti, en référence à l’un de ses morceaux sorti 6 ans plus tôt, Lesram fait du Lesram et par conséquent l’unanimité auprès de sa communauté aussi restreinte soit-elle, au même titre que “G-31″, titre éponyme du projet.
Il nous dévoile de nouvelles facettes de son talent sur des instrus typiques du rappeur Jul sur le titre “Read dead” dans une ambiance plus festive, tout en gardant une authenticité artistique, une fidélité à ses qualités et son identité à la manière de PNL sur “Hasta la vista” ou “Béné”. Une prise de risque qui a permis de satisfaire beaucoup de ses auditeurs, étant l’un des morceaux les plus écoutés du projet.

On retrouve Lesram dans une ambiance beaucoup plus sombre sur “Mode de vie”, dans un registre que le rappeur maîtrise à la perfection, rapper sa rue, parler de ses galères, de ses tourmentes, ses échecs, sa volonté de vouloir résister à la tentation de la facilité paresseuse de la vie, pour sa mère et lui en commençant par « on n’a rien sans rien on est au courant, y’a un plan ? On est chaud bouillant ».
Puis s’enchaîne “Vive allure” aux punchlines aiguisées, au rythme entraînant dont l’instrumentale offre un voyage musical unique, une chanson faite pour conduire seul, un soir de décembre où brouillard et pluie se confondent et tout cela, bien entendu à pleine vitesse.

Le projet se termine sur une musique mélancolique : “Le temps passe”, ainsi que : “Le monde est à moi”, référence à la phrase de Tony Montana dans le film Scarface, où Lesram montre son envie de réussir dans la vie en exposant les obstacles qui s’imposent à lui.

C’est à travers la contrainte, les difficultés que naît un art qui s’élève et dépasse les barrières qui lui sont définies, Lesram en est l’illustration.

Technique

Ses particularités se multiplient et lui offrent un style unique.

Lorsque l’on écoute Lesram, la technique est un élément que l’on perçoit comme essentiel, comme l’un des moteurs de son écriture et de son identité.

L’utilisation maîtrisée du “verlan”, qui lui permet de trouver des rimes inattendues et complexes est entièrement ancrée dans l’identité du rappeur, jusqu’à son nom d’artiste Lesram, qui a complètement inversé les lettres de Marcel, son prénom.
Cette technique souvent utilisée dans le rap est tiré d’un argot de banlieue que l’on retrouve souvent avec des mots comme « Bresom », « Ratpi » « rebeu » ou encore « sé-po » », mais Lesram, lui, utilise le verlan avec beaucoup plus de dextérité et offre une richesse technique unique à ses textes.
Pour illustrer cette méthode, cette technique du phrasé, on peut citer quelques phases dont la dernière de son titre “Relance” « teh bien chargé l’boro a pris feu, c’est pour les frolos, la miff, les potos à ry-Fleu », ici désignant la prison Fleury pour clôturer son texte.
Ou encore sur le titre “Le monde est à moi” : « on veut être large en faisant de l’argent. Traîner tard, fumer des pétards sans s’faire péter par les darmes-gen », le rappeur combine rimes riches avec un verlan sur le mot “Gendarmes” qui surprend l’auditeur et offre à Lesram une palette de rimes beaucoup plus large que les autres rappeurs.
Aussi, Lesram illustre la relation tumultueuse entre les dealeurs et leur téléphone sur le morceau “Bigo” en offrant une rime qui fait le lien entre le nombre qu’ils représentent et les puces de téléphone cassées qu’il voit dans sa banlieue pour effacer toute trace de leur activité « Chez nous des leur-di y’en a plus qu’assez j’regarde le sol j’vois des puces cassées ».

Le rappeur est aussi doté d’un style tout particulier qui consiste à accentuer son intonation sur la dernière syllabe de certains mots afin de leur donner une tournure différente, une importance particulière mais surtout de jouer sur leur musicalité et de prendre l’auditeur à contre-pied.
Cette intonation, difficile de retranscrire à l’écrit fait partie de l’identité du rappeur et est un véritable atout qui met un point d’honneur sur sa technique grâce à sa capacité de jouer avec les sonorités et offrir une expérience musicale hors norme.

Lesram, grâce à une certaine maîtrise de la langue française a la faculté d’imager certaines situations à travers des métaphores qui n’appartiennent qu’a lui.

On peut citer notamment « Des bâtiments sales on arrive en balle comme des journaux dans la presse » dans “Le monde est à moi” qui met en perspective le rappeur et son équipe sous forme de journal, qu’il personnifie afin d’imager ce qu’il exprime et donc fatalement de retranscrire une idée de manière impactante.
Ou encore dans “Bigo” « C’est bizarre avoue, les bleus sur le rain-té comme lizarazu » permettant de comparer l’équipe de France aux forces de l’ordre qui peuvent aussi être appelées les bleus en choisissant un joueur particulièrement mobile sur le terrain.
Dans le titre “Est side 2.0Lesram nous propose encore une métaphore sur la police et les moyens qu’il leur manque pour attraper les trafiquants les plus recherchés « les bleus veulent un gros poisson ils leur manque juste un harpon », met implicitement en valeur le champ lexical rural en comparant deux lieux particulièrement urbains dans le morceau “j’repense” « Ecoute bien, j’viens du Pré j’viens pas des champs » faisant référence au Pré Saint-Gervais, son quartier.

Est-Side 2.0

Lesram utilise des figures de style, image ses textes permettant d’offrir une saveur singulière ainsi qu’une démonstration technique certaine à ses auditeurs.

Pour clôturer cette partie technique, la parole est laissée à Lesram qui dans “Vive allure” personnifie la rue, qui traduit le réel en image, ou plutôt en peinture « La rue c’est comme donna imma Elle à l’regard froid, elle te regarde toi, comme Mona Lisa ».

Authenticité artistique

Dans un contexte ultracapitaliste, la musique est une source financière considérable, ainsi, pour vendre leurs albums les artistes et leur entourage cherchent à s’éloigner du marché de niche que représente le rap dit « traditionnel » afin élargir leur audience et permettre de conquérir un marché considérablement plus important et fatalement plus rémunérateur.
Choisir d’augmenter l’accessibilité de sa musique au grand public offre une récompense financière certaine, mais cela a aussi un coût, celui de trahir sa véritable identité artistique et de froisser l’intime lien qu’entretien l’artiste avec la base de sa communauté.

Avec Lesram, nous ne sommes pas près d’être déçus, car comme le dit l’intéressé dans “PDP” « Faire le tube de l’été ce n’est pas mon but pd », ça a le mérite d’être clair.

En effet, chez certains rappeurs les plus connus, on remarque une attitude changeante dans leur évolution vis-à-vis de leur musique, ce qui est tout à fait naturel, nous évoluons à travers le temps, il faut parfois savoir se réinventer. Malgré tout, cette évolution est souvent perçue comme une volonté de passer à la radio, en boîte de nuit, de plaire au plus grand nombre et l’illustration de cette volonté plus commerciale que véritablement artistique est illustré par le fait de chanter, au lieu de rapper, en d’autres termes, de se rapprocher de la « pop urbaine ».
Skyrock en est un exemple tout à fait démonstratif, leur identité est passée de « premier sur le rap », à « premier sur la musique urbaine », autrement dit, ce qui se vend, ce n’est pas le rap c’est une musique plus chanté, plus accessible. Lesram résume tout cela dans son projet « G-31 » avec le titre “le temps passe” : « J’suis dans une mésentente, ils comprennent rien gros ça me désenchante, c’est plus comme avant même les méchants chantent, c’est la vie le temps passe les gens changent ».

Le temps passe

Dans ce contexte musical si particulier, l’attachement de l’auditeur lambda se focalise de plus en plus sur ce qui n’est pas le rap traditionnel, c’est-à-dire sur autre chose que ce qui est dit, mais plutôt sur ce qui est montré en termes d’habillement, de clips musicaux, d’acquisitions matérielles signifiant la richesse, l’ascension sociale avec les bijoux et les voitures notamment. C’est souvent une stratégie payante mais alors, l’authenticité artistique, la fidélité aux valeurs de l’artiste est souvent remise en cause.
Le texte de l’artiste, est alors trop souvent délaissé au profit de la mélodie et du superficiel, voire parfois de l’artificiel.

Encore une fois, Lesram nous montre que l’authenticité artistique est aujourd’hui quasiment abandonnée au profit du profit lui-même dans “Le monde est à moi”: « A la base moi j’voulais percer mais bon j’ai compris c’est plus complexe, si t’es mis en avant on t’suce ton sexe, l’auditeur écoute plus ton texte ».

Sans forcer, Lesram fait preuve d’une authenticité artistique presque déroutante qui lui permet d’avoir une base solide au sein de sa communauté et plus important encore, de ne pas se trahir en restant fidèle à ses valeurs. Effectivement tout ce qui brille hypnotise mais comme dit précédemment, Lesram reste loin des strass et des paillettes, loin des allées commerçantes dont les projecteurs éblouissent ceux qui s’y aventurent « écoute bien j’viens du Pré j’viens pas des champs ».

Quand la violence collabore avec la finesse, quand la technique d’hier rencontre la banlieue moderne, quand les codes du rap traditionnel rencontrent ceux d’aujourd’hui, alors nous faisons face à un rap entre deux époques, un rap que Lesram ne cesse de perfectionner sans jamais trahir ce qu’il est.

Enjoy & Stay Tuned.

Dimitri Mazin

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