On assiste aujourd’hui à l’émergence d’un terme qui dérange au sein de l’industrie musicale. Pour certains, ce terme semble inapproprié tant il se porte sur un mode de consommation en évolution et tant la connotation péjorative du préfixe « sur » paraît incohérente. Pour d’autres, ce mot correspond tout à fait à une sorte de « mal » de la société actuelle. Attention, l’objectif ici n’est pas d’arriver à une conclusion pouvant être résumée par « c’était mieux avant », loin de là. L’objectif est seulement de dresser un constat sur l’évolution de la consommation musicale et d’en analyser les impacts.
Une consommation en hausse
Si l’on veut définir le terme de « surconsommation de musique », il est nécessaire tout d’abord de s’intéresser au comportement des consommateurs de l’industrie. Aujourd’hui, l’IFPI (la Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique) démontre dans son panorama de la consommation de musique dans le monde en 2019 qu’une personne écoute en moyenne 18 heures de musique par semaine. Ce chiffre colossal s’accompagne donc par une moyenne quotidienne d’écoute de 2h36. Si l’on s’intéresse à ce chiffre, on peut tout d’abord observer qu’il est en augmentation constante, et il se peut qu’il soit encore réévalué à la hausse après une année comme 2020, où la plupart du temps passé s’est fait chez soi. Mais si l’on veut comprendre cela, il faut bien sûr s’intéresser aux modes de consommation qui eux-mêmes ont évolué au cours des 40 dernières années.
En effet, une telle consommation s’explique tout d’abord par l’accessibilité des moyens d’écoute de la musique. Si 40 ans en arrière, il fallait allumer sa radio ou se rendre chez le disquaire le plus proche et débourser 50 à 60 francs pour écouter le 33 tours de son artiste favori, aujourd’hui, il suffit de cliquer sur une application installée sur son téléphone et, au mieux, payer le prix du visionnage d’une publicité sinon celui d’un abonnement mensuel. Bien que les vinyles effectuent une percée nouvelle ces dernières années, on assiste quand même à l’ère du streaming. Avec ce progrès majeur, on a vu émerger beaucoup de plateformes pour héberger ces contenus musicaux comme Youtube, Spotify, Tidal, AppleMusic, Soundcloud…
La massification des flux grâce aux plateformes de streaming
Ces plateformes ont favorisé une publication beaucoup plus facile pour les créateurs. De cette manière, on assiste aujourd’hui à un flux quotidien d’ajout de musiques sur ces plateformes très important. Chaque jour, plus de 50 000 chansons sont publiées en moyenne sur Spotify. Ainsi, on observe une modification des calendriers de publication qui étaient jusqu’alors appliqués. Le vendredi reste le jour de prédilection pour publier un morceau ou un album, mais de plus en plus d’artistes tendent à se détourner de ce jour qui est synonyme de mise en compétition de son titre/projet (usuellement, les classements musicaux sont calculés sur les ventes du vendredi au jeudi soir). Avec ceci, les calendriers de promotion sont eux aussi redéfinis dans cette lancée. On observe une nouvelle forme de promotion ne suivant pas le schéma jusqu’alors appliqué. Cela s’illustre avec l’idée même des albums sortis par surprise. BEYONCÉ ayant initié cela en 2013, la pratique est désormais répandue comme le montre Broke with Expansive Taste (2014) d’Azealia Banks, Cyborg (2016) de Nekfeu, Endless et Blonde (2016) de Frank Ocean ou encore Folklore de Taylor Swift dernièrement.
On observe un point commun à tous ces albums : le streaming a suffi pour en faire des succès. Ce point appuie une fois de plus l’idée de détournement des calendriers et moyens promotionnels traditionnels de la part des artistes aujourd’hui. À ce sujet, je vous invite à lire un article plus détaillé publié sur notre Webzine concernant les nouveaux outils promotionnels de la musique. Ainsi, on peut voir que même si le panorama 2019 de l’IFPI indique que 89% de la population française écoute de la musique à la radio, ce n’est plus indispensable d’y être diffusé pour assurer la promotion d’un titre. De plus, le comportement des radios est de plus en plus critiqué tant la sélection y apparaît comme détachée de la réalité des succès. Ces derniers temps, beaucoup d’artistes s’accordent à dire qu’être “validé” par Skyrock, par exemple, n’est plus indispensable. Alpha Wann l’exprime souvent dans ses titres et met particulièrement cet aspect en lumière avec la punchline « Certifié disque roro, sans entrer dans la playlist de Laulau » du titre apdl. Ici, il appuie le fait que son album UMLA est devenu disque d’or sans que ses singles soient diffusés sur Skyrock (Laulau étant Laurent Bouneau, directeur général de Skyrock).
Les conséquences de cette surconsommation
Toutes ces modifications de façons d’écouter la musique, de publication et de promotion musicale ont permis une consommation accrue de contenu musical. Seulement, une telle augmentation n’est pas sans risque et peut avoir des impacts sur l’écoute, les artistes et la musique elle-même.
Tout d’abord, cette consommation accrue a un impact sur le comportement des consommateurs. Étant donné l’apparition constante de nouvelles musiques, les fans s’habituent à un rythme soutenu et sont en capacité de renouveler constamment leur playlist d’écoute. De cette manière, ces « passionnés » jouent sur cette forme d’habitude pour exiger des artistes une création et une publication constante. Ajouté à la désintermédiation des relations fans/artistes grâce aux réseaux sociaux, ces derniers se retrouvent souvent inondés de messages réclamant la sortie de nouveaux morceaux. Shay semble fuir les réseaux sociaux pour cette raison principalement, agacée de recevoir des commentaires réclamant de nouveaux morceaux seulement 9 mois après la sortie de son dernier album Antidote.
En effet, toute cette façon de consommer rapidement la musique est à remettre en perspective. Si l’on revient dix ans plus tôt, Rihanna était un véritable OVNI pour la scène musicale ayant réussi l’exploit de publier 7 albums entre 2005 et 2012. Aujourd’hui, de nombreux artistes n’ont plus rien à lui envier. JUL par exemple a sorti 15 albums et 7 mixtapes en seulement 7 ans. Seulement, ce type de comportement ramène à un débat vieux comme le monde sur lequel « les véritables fans » s’accordent souvent : mieux vaut qualité ou quantité ? Évidemment, cette question ne mérite pas que l’on s’attarde dessus. Beaucoup d’artistes cherchent à réussir le couplage qualité et quantité, mais ils sont aussi beaucoup à faire des burnout tant cet objectif n’est pas simple à atteindre. Cette réalité est encore poussée par l’impatience des fans qui réclament un rythme soutenu dans ce processus de surconsommation.
Les schémas de l’industrie musicale
Si des artistes cèdent à l’attrait de contenus plus récurrents, un aspect se distingue parfois de ce travail : le manque d’inventivité. En l’occurrence, ce point est de plus en plus critiqué avec l’arrivée du réseau social TikTok. Actuellement, de nombreux artistes voient leur travail taclé pour y avoir inséré une rythmique répétitive, qualifiée de « faite pour TikTok ». C’est ce type de reproche qu’a notamment récolté Cardi B avec son dernier morceau Up. Un style de musique redondant qui au final s’intègre dans un mouvement de mode. Bien sûr, c’est le principe même de nouvelle mode, qui est d’abord critiquée puis regrettée lors du passage à une autre. Un schéma qui se répète et s’observe à toute époque, le disco n’ayant pas échappé à cela à la fin des années 1970.
Parallèlement, une critique de plus longue date émane sur l’utilisation redondante des samples dans le processus de création des bandes instrumentales. Le plus souvent, ces reproches ne déplorent pas la musique en elle-même, mais plutôt le manque d’inventivité qui émane de ces chansons. Saweetie est particulièrement taclée pour cela puisqu’elle avait proposé en 2020 des titres comme Sway with me, Tap In ou Back to the streets dont les instrumentales étaient toutes basées sur des samples.
Le jeu quitte ou double de la hype
Finalement, des artistes font parfois le choix d’un travail plus poussé et qui met, par conséquent, plus de temps à sortir. Dans ce processus, on observe une nouvelle conséquence liée à une surconsommation musicale : la hype. En effet, plus un projet met du temps à sortir, plus les fans sont impatients de voir sa sortie. Avec cette impatience, on observe une montée des attentes autour du projet. Des artistes s’amusent à jouer autour de cette hype naissante pour promouvoir d’autant plus le fruit de leur travail. Seulement, une telle promotion apparait comme risquée.
Tout d’abord, le projet se doit, par conséquent, de répondre aux attentes, sinon il sera durement critiqué sous le joug de la déception. C’est par exemple ce qu’a expérimenté Playboi Carti récemment, après deux ans de travail sur son album studio Whole Lotta Red. Il a, au cours de l’année 2020, annoncé à plusieurs reprises une sortie prochaine. L’excitation des fans était à son apogée et même le grand public attendait beaucoup de cet album. Seulement, après sa sortie surprise en cadeau de Noël, beaucoup ont été déçus du projet tant attendu. Finalement, si le projet a atteint la 1ère place du Billboard Hot 200 en première semaine, il tombe, semaine après semaine, un peu plus bas dans le classement. En un sens, on pourrait questionner le principe même de hype. En effet, elle semble nuire à l’écoute même d’un projet tant l’excitation biaise le regard sur celui-ci qui pourrait, sans attentes, plaire. Mais il faut aussi souligner le côté positif, quand l’excitation se couple à un excellent projet, l’expérience musicale est d’autant plus jouissive. Ainsi, il faut apprendre à mettre ses attentes de côté afin de pouvoir expérimenter au mieux un projet.
Pour conclure, cet article a simplement pour vocation de rappeler l’importance de se porter sur ce que l’on a déjà. L’oubli a, pour moi, la place la plus dérangeante dans ce processus de surconsommation. Avec un tel flux de chansons, on en vient à oublier des projets qui nous tiennent à cœur sur l’instant. Le plaisir de replonger dans des projets comme Kiss Land de The Weeknd, FutureSex / LoveSounds de Justin Timberlake ou encore In Colour de Jamie xx reste pourtant le même. Il ne faut donc pas laisser l’oubli dominer dans cette phase de consommation et apprécier conjointement les sorties actuelles et celles passées.
Enjoy & Stay Tuned.
Augustin Chassang