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L’industrie musicale tue-t-elle ses artistes?

Aux prémices du mois de mai, mois de la sensibilisation à la santé mentale aux États-Unis, l’équipe de Start It vous propose de vous pencher sur un sujet qui relève encore souvent du tabou. Notre objectif est ici de présenter l’arc-en-ciel de relations entre musique et santé mentale et d’observer l’influence de l’industrie sur les artistes.

Après une année de crise sanitaire où la culture est apparue comme un divertissement inessentiel voire illégitime pour bien des gouvernements ; la musique est pourtant apparue pendant les divers confinements pour beaucoup comme une « super médecine non-invasive » selon les dires du chercheur en neurosciences Emmanuel Bigand. La musique a pu « réguler notre humeur, modifier la biochimie de notre cerveau, et notamment réguler la sécrétion du cortisol, hormone du stress ». La musique est donc une forme d’évasion essentielle dans un contexte d’isolement d’une telle ampleur. Même au sein du travail, la musique sert de vecteur de concentration comme cela s’illustre avec le boom des vidéos Lofi. La musique apparait comme une thérapie pour ceux qui l’écoutent, mais aussi pour ceux qui la créent.

L’expression des troubles

Il n’est de secret que pour beaucoup d’artistes, la création de musique et l’écriture leur permet d’exprimer traumatismes vécus et troubles personnels. Cette mise à nu est souvent motivée par deux objectifs distincts. Tout d’abord, ce travail peut servir d’exutoire pour l’artiste. La musique lui permet d’exprimer ses maux et toutes les émotions qui en découlent. Il se rend vulnérable et peut alors être vu comme il est réellement, sans les artifices du rapport médiatique usuellement entretenu avec les fans. On retrouve ce processus dans l’élaboration de l’album Sweetener d’Ariana Grande, album qui suivit l’attentat s’étant déroulé à la toute fin de l’un de ses concerts à Manchester en 2017. Avec des titres comme « Get well soon » et « No tears left to cry » elle évoque l’anxiété qu’elle éprouve alors et sa volonté de passer outre bien que cela semble impossible. Ce même processus apparait dans la création de l’album Trip de Jhené Aiko. Elle y présente les émotions et étapes par lesquelles elle est passée à la suite de la mort de son frère. Elle lui dédie même un court-métrage retraçant son voyage de réadaptation.

Ensuite, l’expression de ces traumatismes passés permet également à l’artiste de faire comprendre à son public qu’il n’est pas seul. En effet, l’objectif peut aussi être d’exposer la réalité d’évènements qui ont pu être partagés par certains fans. Que ce soit la perte d’un proche ou un viol, le but est de permettre à son auditeur de se rétablir conjointement ou même de sensibiliser. Dans le titre « Til it happens to you » extrait du documentaire The Hunting Ground, Lady Gaga raconte les traumatismes d’une victime d’abus sexuels. Étant elle-même victime, elle fait part du poids des regards, de l’impossibilité d’évoquer les évènements et de la difficulté de vivre avec ce traumatisme. Des morceaux comme celui-ci rendent alors le sujet public, visible et motive une libération de la parole.

Quand les artistes s’ouvrent sur leur maladie

Dans ce même objectif, certains chanteurs et rappeurs prennent la parole dans leurs textes pour y évoquer une situation mentale qui relève de la maladie. La musique étant en un sens le miroir de notre société, il est commun que certains sujets soient tus par peur du regard des autres. La santé mentale n’a pas échappé à cela. Si aujourd’hui on semble connaître un certain relâchement sur ce sujet avec des mouvements musicaux comme l’emo rap, ce fut un travail de longue haleine. Un des artistes les plus évoqués à ce sujet est souvent Kurt Cobain, chanteur légendaire du groupe Nirvana. L’artiste qui était atteint de trouble bipolaire s’était donné la mort en 1994 à seulement 27 ans. Ce suicide a alors par la suite déclenché une plus large discussion quant à la prise en charge et à la sensibilisation à la santé mentale. Vous réalisez ? Il a fallu le suicide du membre d’un des groupes les plus influents de l’époque pour que la mise en place de sensibilisation à plus grande échelle soit effectuée. Le chanteur évoquait pourtant déjà la dépression et autres troubles mentaux dans des morceaux comme Lithium sorti sur l’album Nevermind vendu à plus de 30 millions d’exemplaires aujourd’hui.

Désormais, les troubles mentaux restent difficilement abordés par les chanteurs et rappeurs qui les vivent mais cela tend à s’améliorer. Pour exemple, le rappeur Kid Cudi n’a jamais réellement caché sa dépression, son anxiété et ses pensées suicidaires. Il s’est même volontairement hospitalisé en 2016 dans le but de rétablir sa santé mentale. Aujourd’hui, l’artiste souffre encore de ces mêmes troubles et pense qu’il les combattra toujours seulement il désire donner à son public un point d’appui, une aide pour traverser cela. À travers l’excellent projet commun avec Kanye West Kids See Ghosts, les deux rappeurs racontent publiquement leur combat respectif contre leurs troubles mentaux. Ils offrent en sept morceaux ce qui semble être les étapes de leur trouble, allant de la persévérance à la rédemption. Leur message d’espoir est présenté sous une métaphore simple : « les enfants voient des fantômes ». Ils symbolisent alors l’idée que ce ne sont pas des troubles à part, beaucoup de gens souffrent de ces troubles et cela ne doit plus être caché. Cudi en profite même pour rendre hommage à Kurt Cobain qu’il a toujours estimé à travers le titre « Cudi Montage » où il sample ses notes de guitare. Il termine la chanson par un message autant porté à Cobain qu’à ses fans en état de détresse : « Stay strong ».

L’emo rap et les motivations de l’industrie

L’influence de Kid Cudi est indéniable aujourd’hui au sein de l’industrie musicale. Il a ouvert la voie à bon nombre de rappeurs qui aujourd’hui n’hésitent plus à montrer l’état mental dans lequel ils se trouvent. Avant, l’évocation de sa santé mentale au sein du rap laissait souvent la possibilité de perdre en street credibility. Aujourd’hui, certains rappeurs se permettent de centrer presque tous leurs textes sur leur état. On peut citer ici des rappeurs comme XXXTentacion, Lil Uzi Vert ou encore Lil Pump. Mais ce mouvement va plus loin puisqu’il permet à des rappeurs usuellement plus introvertis de s’ouvrir et faire part de leur trouble. En France, ce même schéma s’établit avec des rappeurs comme Nekfeu, Dinos ou encore Vald qui font part de leur situation psychique.

Seulement, on observe avec ce mouvement musical un constat simple : ce type d’ouverture fonctionne auprès du public. Et cela n’a pas échappé à l’industrie et aux maisons de disques. En effet, cette vulnérabilité rassemble souvent un plus large nombre d’auditeurs et permet alors plus de ventes. Les maisons de disques et labels peuvent alors parfois y voir une véritable mine d’or et peuvent pousser la création de morceaux plus personnels évoquant la santé mentale d’un artiste. Cependant, cette volonté peut alors apparaitre comme destructrice pour un artiste, les pousser dans un ressassement constant de leurs instants les plus sombres.

Parallèlement, de nombreux artistes trouvent refuge dans la drogue, comme moyen d’échapper à la pression des labels. Seulement, les addictions restent une réalité sous-jacente des troubles psychiques. Ainsi, les maisons de disques et autres membres de l’industrie minimisent parfois ces consommations et ne voient pas toujours de mal dans ces vices. Or on observe d’autant plus ces derniers temps la nécessité de faire attention à la santé mentale des artistes et à leur consommation de drogues. Juice WRLD, Avicii ou encore Mac Miller sont tous trois morts entre 2018 et 2019 à cause de leurs addictions. Ce ne sont pas les premiers puisque d’autres artistes comme Whitney Houston ou Amy Winehouse ont auparavant connu la mort à cause de leur consommation de drogues. Pourtant, l’industrie semble continuer de fermer les yeux sur les addictions dont souffrent leurs artistes.

La surexposition médiatique

Le point le plus inquiétant reste tout de même le poids joué par l’exposition médiatique des artistes musicaux. En effet, les médias ne sont souvent d’aucune aide dans la lutte contre les troubles psychiques, loin de là. Si l’on prend l’exemple des magazines people, leur fonctionnement se construit sur l’idée de buzz. Ainsi, certains magazines optent pour la traque d’artistes afin de pouvoir trouver une nouvelle couverture avec un titre accrocheur. L’exemple le plus célèbre de ceci pourrait être la séparation de Britney Spears et Justin Timberlake à la fin des années 2000. Une situation surexposée médiatiquement qui mena Britney Spears dans des états de troubles psychiques sévères. Une expérience qui a aussi été partagée par Diam’s qui se confie dans son dernier album symboliquement intitulé S.O.S. Dans le magnifique morceau Si c’était le dernier (dernier morceau de sa carrière par ailleurs), elle évoque sa surexposition médiatique qui l’a amenée à effectuer un séjour en hôpital psychiatrique.

Les effets de cette pression des médias sur les artistes et leur santé mentale intriguent donc sur le rôle des labels. Bien entendu, l’exposition médiatique permet de vendre autant de journaux que de disques. Seulement, que valent les ventes à un instant T si l’artiste n’est plus en mesure de créer un autre disque par la suite ? Une question à laquelle des personnes comme le manager et père de Britney Spears décident de ne pas répondre. En effet, ce dernier a récemment révélé que si l’artiste était sous tutelle depuis la fin des années 2000, c’était parce qu’elle souffrait de démence. Pour autant, ce n’est pas, pour lui, un motif suffisant pour lui faire arrêter tournées mondiales et projets musicaux depuis.

Des avancées?

Finalement, cette année, plus que jamais, les questions de santé mentale semblent avoir connu des avancées. C’est une pandémie nous forçant à nous isoler et nous couper de toutes interactions physiques qui aura permis de réaliser la nécessité de prêter attention à ce sujet. Les réseaux sociaux ont évidemment permis ce semblant d’avancées, mais cela a pris plusieurs formes. Alors que ce soit à travers des messages clairs sur TikTok ou des décisions gouvernementales (tardives) permettant l’accès à un suivi, on peut y voir une évolution positive. L’industrie musicale a elle aussi présenter des propositions de réponse à cette urgence. En effet, le groupe Sony Music a su lever un fonds de justice sociale de 100 millions de dollars et plus particulièrement présenter un programme surnommé “La bande son de la santé mentale” pour soutenir les écrivains et musiciens durant cette période difficile. C’est donc un début d’initiative qu’il est bon de souligner et d’encourager de la part d’une major de cette ampleur. Un véritable signe d’espoir pour les années à suivre d’autant plus que de plus en plus d’artistes mettent la lumière sur ce sujet à l’image d’Ariana Grande lors d’un récent post Instagram.

Pour conclure, nous tenons à rappeler que ces sujets de santé mentale ne sont pas à prendre à la légère. Si toi, qui as lu cet article jusqu’ici, souffres de troubles ou ressens simplement de l’isolement pendant cette période, tu dois en parler à tes proches et ne pas affronter cela seul.e. Le gouvernement a également mis en place un numéro vert d’écoute ouvert 24h/24 (0 800 130 000) et un possible accès à des psychologues simplifié et gratuit.

Enjoy & Stay tuned.

Augustin Chassang

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