Même s’il tend à s’élargir, le rap reste un domaine encore fâcheusement très majoritairement masculin. Ainsi, le sujet de la masculinité et de la façon dont elle est abordée au sein de ce genre musical apparait comme essentiel à aborder. Plus loin encore, il s’agira ici de développer la façon dont le concept de « masculinité toxique » ressort dans le rap, comment il y est abordé, mais aussi combattu.
Nombre de médias ont au fil des années alimenté les controverses et dépeint le rap et ses artistes comme porteurs d’idées néfastes, généralement de l’ordre de la violence ou encore du sexisme (deux éléments centraux du concept de la « masculinité toxique »). Ce portrait brossé par les médias est à l’évidence contestable et il est certain que cette vision réductrice ne peut s’appliquer à la diversité qui compose le rap et ses artistes. Genre musical aux multiples facettes, ajoutons que le rap a brillamment su se renouveler selon les évolutions du contexte socio-culturel dans lequel il gravite.
Il est donc important de mentionner que le but de cet article est en premier lieu de fournir une étude à la fois analytique et sociale du phénomène de la « masculinité toxique » dans le rap. Il n’est en aucun cas question de caricaturer, de généraliser ou de dénigrer le rap ainsi que les artistes dans l’expression de leur masculinité.
La masculinité toxique, qu’est-ce que c’est ?
La masculinité toxique est un concept qui repose sur l’ensemble des normes dites « traditionnelles » et sur les stéréotypes attribués au genre masculin. Selon ces injonctions sociales nocives, l’homme se doit d’être dominant physiquement comme socialement. D’après ce même concept, la violence et le refoulement des émotions font partie intégrante du processus de démonstration de domination et de virilité.
D’après Amanda Marcotte, blogueuse américaine ayant popularisé le terme de « masculinité toxique », il s’agit d’un « modèle spécifique de la virilité, orienté vers la domination et le contrôle. C’est une virilité qui perçoit les femmes et les personnes LGBTQ+ comme inférieures, qui conçoit le sexe comme un acte non pas d’affection mais de domination, et qui valorise la violence comme seule façon de s’imposer dans le monde ».
Ce portrait de la « masculinité toxique » s’accompagne donc de comportements liés à la misogynie, l’homophobie ou encore la violence, trois éléments qui au cours des décennies ont pu coller à la peau du rap.
Le lien entre masculinité toxique et rap
Nous l’évoquions dans l’article « Rap français, inversion des valeurs ? », le rap et notamment le « gangstarap » du milieu des années 2000 ont pu faire au sein de leurs textes l’apologie de la violence pour la violence, de la mégalomanie, de l’hétérosexualité hyperactive ou encore de l’abondance monétaire, soient des thèmes en association directe à la masculinité toxique et à la vision de « l’homme fort et invulnérable ».
A titre d’illustration, les pochettes des albums Zone 59 de Gradur et Trône de Booba, toutes deux pleines de symboliques : La première représente le rappeur Gradur au sommet d’un char d’assaut, arme et enfant en mains. La seconde représente un Booba royal, coiffé d’une couronne. Le titre de l’album fait par ailleurs référence à sa longévité dans le milieu du rap français et à sa position au sommet du rap.
Lors d’un meeting en Californie en 2019, Barack Obama s’est exprimé sur la question de la masculinité toxique sous le prisme du rap. L’ancien président des États-Unis a dénoncé lors de son discours les codes de la masculinité toxique et sexiste usés par certains rappeurs :
« Si vous êtes vraiment confiant par rapport à votre situation financière, vous n’avez pas besoin de porter une chaine de 4 kg autour du cou. Si vous êtes vraiment confiant à propos de votre sexualité, vous n’avez pas besoin de huit femmes qui twerkent autour de vous. »
L’ancien chef d’État a également mis en avant le rapport, selon lui, entre le racisme et la masculinité aux États-Unis. Il affirme que les hommes victimes de racisme se sentent dans l’obligation de « compenser en exagérant les manières stéréotypées dont les hommes doivent se comporter ». Il complète cette idée en ajoutant : « C’est un piège. L’idée que, d’une certaine manière, te définir en tant qu’homme dépend de ta capacité à rabaisser, à dominer quelqu’un, c’est une vieille vision ».
L’ancien président des États-Unis a également affirmé : « Être un homme, c’est avant tout être quelqu’un de bien. Et ça veut dire être responsable, être fiable, travailler dur, être gentil, respectueux, faire preuve de compassion ».
Vers un rap libéré des contraintes de la masculinité toxique ?
De plus en plus d’artistes osent s’assumer au-delà des diktats de ce qui est considéré comme « masculin » à la fois dans le rap, mais évidemment à plus large échelle, dans la société.
À titre d’exemple, dans son clip pour le single Industry Baby, le rappeur Lil Nas X utilise l’image de la prison pour signifier qu’il se libère des contraintes de la masculinité toxique et d’un univers rap hétéronormé, à l’image de l’ensemble de la société.
Le rappeur Booba sort quant à lui en 2018 le titre Petite fille montrant une facette beaucoup plus tendre et paternelle de lui-même.
Dans le morceau 88%, Philippe Katerine et Lomepal dénoncent l’homophobie tout en pointant du doigt les différents stéréotypes de genre dans leur clip.
Autre exemple parlant hors scène rap, la chanson Kid d’Eddy de Pretto où l’artiste dénonce ce qu’il nomme la « virilité abusive » et plus largement les stéréotypes de genre inculqués dès le plus jeune âge. Il introduit son titre par la phrase « Tu seras viril mon kid, je n’veux voir aucune larme glisser sur cette gueule héroïque et ce corps tout sculpté ».
Au sujet de la masculinité toxique, le plus important reste de déconstruire les stéréotypes de genre et d’offrir plus de représentativité à travers l’éducation, mais aussi la musique.
Enjoy & Stay Tuned.
Eva Rozand